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Flore – Coquine Canicule 4

2 juillet 2010

Flore laisse la musique dévaler les escaliers. Elle est étendue sur le carrelage, bras et jambes écartés et à la recherche de la moindre parcelle de fraîcheur. Le son du piano éclate à travers la maison, d'abords grave et timide puis augmentant en présence et en gammes d'octaves au fils des minutes. Les notes cavalent, se heurtent à en devenir discordante, se cherchent puis s'apaisent. Elles sortent de l'ordinateur et se cognent au mur, longent le couloir blanc en glissant contre le parquet, sautillent autour d'elle, creusent son oreille puis s'envolent au plafond.

Flore imagine quatre mains sur deux claviers. Elle sait lire la musique sans pouvoir la jouer, ses mains ont poussé trop vite, à dix ans elle est toute en longueur sans savoir exactement ou commence et ou termine son corps. Cela change tous les jours… Elle se penchera sur la question lorsqu'elle aura fini de grandir. 

Enfant précoce, enfant différente, Flore a appris à lire toutes les clés possibles sur une partition "juste pour savoir". La musique est un langage qui la fascine, un univers à part reflétant ses humeurs, ses envies et angoisses. Flore a deux grands yeux noirs profonds et interrogateurs, une peau trop blanche décorée de quelques grains de beauté et une masse de cheveux sombres et brillants, lourds et souvent emmêlé.

Ses cheveux sont un désagrément qu'elle aimerait couper. Ses cheveux font la fierté de sa mère. 

Le carrelage est constitué de grands carreaux gris foncés. Quoique son corps y repose, l'esprit de Flore vagabonde ailleurs, dehors. Il ouvre la porte et s'aventure dans le jardin desséché, remarque les parterres jaunis et en voie de désertification.  Flore rêve les yeux ouverts que son esprit s'élève au-dessus des maisons et se promène dans la résidence. Elle voyage souvent ainsi, le corps immobile, voguant au gré de la musique et de ce qu'elle imagine, de ce qu'elle a observé autour d'elle que les autres ne voient pas. Elle sait que depuis une semaine, le fils Doumont et la fille Arriège se voient tous les jours. Il frappe discrètement, elle lui ouvre rapidement et ils disparaissent pendant des heures. Elle imagine Adèle Vaugnard allant de maison en maison avec son arrosoir dans une course illogique contre la chaleur accablante asséchant l'air et transformant les pelouses en terre poussiéreuse. Flore sait aussi que le périple quotidien d'Adèle Vaugnard se termine chez Paul Vignaud, que la mercière au fond de la rue va ramasser en cachette les prunes "précoces" de son voisin, et que les trois adolescents du bout de la rue se cachent dans le garage pour boire du coca en fumant du tabac roulé acheté au buraliste du centre, un homme aussi jovial que corpulent et complaisant.

Flore regarde le plafond blanc que ses parents ont repeint il y a déjà cinq ans. Ils ont fait du feu chaque hiver depuis et les coins des murs commencent à noircir. Elle est là et ailleurs, tout en gardant un secret tout au fond d'elle. Ce n'est pas un secret très grave, ce n'est pas un secret qui lui appartient. Ce matin, Paul Vignaud a timidement frappé à sa porte. Elle aime bien son voisin d'en face qui joue volontiers aux échec avec elle, "mais dans le jardin, de façon à être vus des autres voisins, d'ici à ce qu'ils se fassent des idées…". Paul Vignaud ne se positionne pas en adulte quand il lui parle, il réponds toujours à ses mille et une question étranges  qui lui viennent d'on ne sait où… Flore trouve tellement de choses scientifiques fonctionnelles et logiques, et tellement d'humains incompréhensibles et illogiques, forcément elle a des questions, et les réponses qu'on daigne lui donner en font naître d'autres encore. Paul Vignaud lui répond toujours avec patience et ne s'énerve jamais. Parfois, simplement, à la fin de leur troisième partie d'échec, il agite doucement la main en lui disant que son cerveau est fatigué, maintenant, et qu'il ferait bien une sieste. "Mais tu peux revenir demain, pour la revanche".

Sauf qu'en ce moment, il est impossible de tenir une minute dans le jardin, aussi leurs parties d'échecs ont-elles cessées. 

Paul Vignaud a frappé, donc, et lui a tendu une petite valise en cuir kaki, un carré usé et léger. Un peu ému, il lui a demandé de la garder un temps pour lui. "Je te confie un bout de ma femme, ce sont des petits riens, des morceaux de papiers, tu veux bien les garder pour moi? Je reviendrai les voir de temps en temps… mais là en ce moment, je préfère qu'ils ne restent pas chez moi."

Flore a hoché gravement de la tête, a saisi la valise et l'a glissée sous son lit. C'est elle qui passe l'aspirateur dans sa chambre, il y a peu de risque que sa mère se casse le dos à y jeter un oeil.

Elle écoute les notes qui ont changé d'humeur et soupire. Il fera peut-être plus frais ce soir… ce serait bien.

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