Archive for décembre 2014

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Diapason

30 décembre 2014

Assise par terre, la tête contre le mur blanc de la pièce, elle tend vers la lumière vive du lustre au-dessus d’elle. Les yeux fermés, elle reconstitue chaque meuble, chaque ombre, chaque reflet dansant sur les tentures, le plafond, les frontières de l’espace au sein duquel elle est venue se reposer un instant. Entre ses doigts, un diapason qu’elle choque contre le parquet avant de le coller en haut de sa pommette, contre l’os, juste avant l’oreille.

L’objet en métal vibre et lui donne le La, en elle chantent mille notes chatoyantes et claires.

On s’en sert pour accorder les violons, pour harmoniser les instruments et leur permettre ensuite de lancer leur propres notes, qui pourront coexister avec leurs voisines en une envolée d’harmonies qui portera un monde unique, s’adressant à l’univers avant de renvoyer leurs échos vers le monde d’en bas.

Une main contre le métal contre sa peau, l’autre à plat sur le bois ciré, la respiration calme, les yeux fermés, elle reconstitue chaque visage, chaque mot, chaque agitation dans la maison aux grands escaliers.

Personne ne la cherche. Emmitouflée dans sa chemise de nuit en coton clair, les cheveux longs emmêlés, elle sait qu’elle peut rester sans ce coin de bureau, s’isoler du tumulte des grands-mères et des tantes, des cousins et de sa propre fratrie. Les multiples étages ont pris vie pour les vacances, Noël est une affaire sérieuse et agrémentée de monde et de bruit et de pièces ouvertes aérées et dépoussiérées, de repas longuement préparés et dégustés, de soirées au coin du feu à partager des histoires, télévision, radio, ordinateurs et téléphones sagement relégués aux oubliettes.

Il est facile de se faufiler. De quitter le cercle à pas de loup pour rejoindre un monde solitaire accompagné de rêveries et de musique, d’histoires qu’elle s’invente. Elle aime être seule, elle n’a pas peur du silence brisé par les craquements des lattes du parquet, les grincements des lourdes portes mal huilées et les gémissements des cheminées trop peu utilisées.

Assise par terre, une main reliée à la réalité et l’autre vibrant vers l’imaginaire, le visage renversé et les yeux clos en sourire vers d’invisibles secrets, son âme tend vers l’indicible apaisement de ce rendez-vous avec elle-même, vers le réconfort de n’être avec d’autres… ces minutes précieuses d’où elle puisera la force pour affronter le tumulte à venir.

 

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Battement d’une larme au sein d’un coeur fêlé

18 décembre 2014

Il faut recommencer, réapprendre, les doigts qui se délient, les espoirs qui renaissent, le corps secoué par la mort et réveillé à nouveau vers la vie, réconcilié de sa souffrance quotidienne tandis que l’oxygène se fraye en force des étranglements quotidiens et explose les poumons, le cœur, les cernes, l’âme déployée en attente d’infini, il faut oser, croire, avancer, se libérer de ses propres barrières et donc oser croire, surtout, en soi, en l’impossible, en la force de la lumière sortant de l’ombre, en la possibilité d’un lendemain ; il faut fouette cocher, il faut serrer le mors et s’élancer, s’autoriser des pas en étourdissements et en étonnements d’être encore là, ici, le chemin existe toujours devant, le brouillard des jours, des mois et des années se perce enfin des rayons chauds d’un astre bienveillant et immense, alors que les larmes des disparus n’ont pas encore séché et que la terre fraîche reste à creuser ; il faut se souvenir gravement et tendrement des jours passés, des pas côtes à côtes le long de la rive, entourés de bleu et de vent humide – chérir ce qui fut et ne pourrait être – il faut croire qu’on peut oser s’élancer et s’autoriser un bonheur en peine des absents avec au cœur un feu brûlant de les avoir connus, cette sagesse solennelle caressée d’une brise en sourire léger de savoir que sans eux nous ne serions qu’une ombre, qu’ils nous ont révélé à la lumière, nous ont donné chair et résonance, nous ont positivement marqué au fer au point que chaque palpitation manque de défaillir en vertige de leur départ et que nos mains se rattrapent et nous raccrochent au présent sans parvenir à combler les manques…

Tournoie autour de nous la joie permanente dont ils ont imprégné nos êtres, même s’ils nous ont quittés et que leurs noms résonnent au dessus des vagues d’une mer constante et imprévisible : quel que soit leur nom, quel que soit leur âge, quel que soit le temps dont ils ont fait grâce à la terre, quel que soit l’apaisement ou la violence de leur arrachement, nos cœurs sont des rescapés, des survivants, agenouillés et en faille sur le sable salé, debout face à une falaise hurlante à invoquer le ciel, chaque respiration dépouillée de leur présence, de la certitude qu’il existe une cohérence, une raison, chaque apport d’oxygène nous rappelle à l’humilité face à l’Immense et nous enveloppe du sentiment béni d’avoir frôlé l’indicible et d‘avoir été aussi entièrement Aimé.

Il n’y a pas de mots, il n’y a pas d’explication, les mesures de la faille en nous n’a pas d’importance, nous avons été aimé, et cet amour ne saurait disparaître quelles que soient les circonstances.

Nous avons le droit de pleurer, d’être en colère et de ne vouloir tolérer les règles d’un jeu pipé à l’issue inéluctable – nous sommes dans l’arène particulière de notre propre Hunger Game, chaque seconde éloigne notre curseur du début pour le rapprocher de la fin et nous ne connaissons pas la distance à parcourir… et pourtant, et pourtant, nous continuons, nous vivons, nous aimons, chaque battement de cœur est souffrance et rappel, chaque regard ou sourire en célébration d’un instant arrêté, d’un chant éblouissant apaisant nos blessures, glissant le long de nos cicatrices pour soutenir les jours à venir car il faut recommencer, il faut s’élancer librement vers l’espoir de la vie, forts d’une armée de souvenirs bardés d’amour et de lumière, il faut oser vouloir tout, maintenant, avant que la marée ne remue le sable et n’efface tout.