Archive for juin 2010

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Les petites pierres noires

21 juin 2010

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Tu restes sans bouger, assise dans ta cuisine sur deux chaises de bar – tu es affalée sur l’une et tes jambes reposent sur l’autre. En face de toi, un verre de vin rouge auquel tu n’oses pas toucher. Y poser tes lèvres en appellerait un second, et qui sait combien d’autres ensuite.

 

Cette semaine est maudite. 

 

Cette semaine est composée de petites pierres noires et rondes, brillantes et lisses et dures, cette semaine est composée de jours sombres, de larmes et de deuil. A chaque jour son visage. A chaque jour sa femme, son cancer. Il y a quelques hommes aussi, qui t’ont quittés accidentellement, sans prévenir. Au détour d’une route, d’un fossé, d’un refus de vivre plus longtemps. 

 

Mais ce sont surtout des femmes. 

 

Tu te souviens de chacune d’elles différemment. Les images te reviennent en force, de leur corps vibrant de vie, d’action, leurs coeurs en mouvement, leurs regards brillants et aimants. Tu te souviens d’elles aussi plus tard, vers la fin, lorsque leurs visages se sont creusés, lorsque leurs gestes ont ralentit, leurs pas de plus en plus légers et douloureux au rythme de leur perte de poids, au rythme de leur perte d’espoir. Leurs traits se sont fait plus lumineux, irradiant leur calvaire d’une lumière vacillante, une lumière aussi crue que douce qu’elles extrayaient tant bien que mal de leur agonie, vous offrant ces dernières images d’elles, en vie, marchant parmi vous encore, marchant vers une fin qu’elles avaient accepté, mais souhaitant vous préserver encore.

 

Jusqu’au dernier moment elles vous ont préservés.

 

Elles sont parties. Aujourd’hui.

 

Tu restes face à ton verre. Un mercurey. Tu attends. Les jours qui précèdent cette semaine déjà, tu attends, espérant comme chaque année qu’aucune nouvelle pierre ne viendra s’ajouter aux autres. Nous amoncelons en nous ces petites pierres noires, nous les érigeons en murs derrière lesquels nous nous perdons pour pleurer. Nous créons nos propres murailles, nos forteresses, nos prisons. Nous enfouissons nos deuils et nos larmes, refusant de les laisser éclater à la surface, devant le regard des autres, et au fil du temps, les nôtres deviennent plus tristes, nos sourires moins francs et nos gestes plus lourds. 

 

Tu refuses cela, toi. Tu veux vivre pleinement, tu veux crier et pleurer et rire et hurler de joie comme de douleur. Tu veux pouvoir te perdre dans le vent, sur une plage, et laisser exploser tes secrets et sentiments les plus intimes. 

 

Plus tard peut-être. Ce soir tu attends les larmes qui se refusent à toi. Tu attends ce sel sur tes joues avant de pouvoir, enfin, lever ton verre aux disparues, leur sourire, et boire à leur souvenir. 

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Jeanne

17 juin 2010

Tu t’approches de moi à petits pas depuis la sortie du métro jusqu’au café « Les Ambassades« , ton chignon blanc impeccablement épinglé, chaque cheveux brillant à sa place avec une coquetterie sur le côté, une épingle ornée d’une discrète perle noire. Le dos légèrement courbé, le cou tendu en avant, les lunettes petites et ovales au bout de ton long nez. Tes yeux bleus si clairs et rieurs s’en échappent et regardent le monde à côté de tes verres. 

 

Tu es ma Grand-Mère Jeanne.

 

Petit à petit, avec patience, tu franchis la distance et tu t’assieds avec élégance à notre table du mercredi, près de la fenêtre. Elle nous est réservée, elle nous attend et les fleurs y sont toujours fraichement coupées. Tu poses ton sac, enlèves tes gants, et fais un rapide tour de la salle avant de fixer le serveur d’un air faussement sévère. Ce dernier s’approche en souriant et t’offre une légère inclinaison du buste alors qu’il te salue. Notre rituel a ses habitudes, ou nos habitudes sont désormais devenues un rituel. La suite change d’une semaine à l’autre, le thé commandé, les potins échangés, nos commentaires amusés sur les passants qui alimentent à leur insu notre étude du monde parisien.

 

J’aime ces moments passés avec toi. Tu es si fine et fragile aujourd’hui, et pourtant une force défiant les âges émane de toi. Je lis sur ton visage tant d’histoires, tant de rires et de larmes, tant de choses vécues. Car tu as vécu, intensément et en bravant joyeusement les conventions et les us et coutumes. J’ai en moi une image de toi le visage renversé vers le ciel, tu portes ma mère dans tes bras, tu te tiens fermement ancrées pieds nus dans ton jardin et tu ries aux éclats. La photo s’est délavée avec le temps, mais on devine les couleurs vives et acidulées des années soixante. Tu portes une robe chasuble imprimées de losanges, tes cheveux ondulent autour de ton visage et tes yeux sont soulignés d’un trait épais et interminable.

 

J’aime cette photo de toi. Ma part schizophrène aurait aimé te connaître alors et oser moi aussi enlever mes chaussures et planter mes pieds dans l’herbe, sentir le sol, la terre autour de mes pieds. C’est quelque chose que tu fais encore, lorsque tu arrives quelque part. Quelque chose de sensuel, de vivant, de vital que de sentir la Terre vibrer sous ton corps. Tu enlèves tes chaussures et tes bas et tu t’imprègnes du lieu. C’est une condition pour toi de pouvoir vivre pieds nus, comme l’air qu’on respire ou l’eau qu’on boit. Etre quelque part sans communier avec le sol t’est impensable.Tu n’as ainsi tenu qu’une demi journée à Nice – le sable a brûlé la plante de tes pieds et tu as doucement refusé d’y rester plus longtemps.  Comme toujours, Grand-Père Jacques t’a regardée, a souri. Vos lieux de vacances n’avaient pas d’importance, le tout pour lui était de les passer avec toi. C’est lui qui a pris cette photo de toi, comme tant d’autres affichées dans des cadres et des albums. Lorsqu’il partait en voyage, Grand-Père Jacques emportait avec lui un album entier de toi. A la fin, quelques pages étaient consacrées à ses enfants, puis aux enfants de ses enfants, mais l’essentiel est remplie de toi. Toi rayonnante dans une robe de cocktail, les cheveux dénoués en fin de soirée, les jambes reposant sur les accoudoirs d’un fauteuil, toi au réveil, les yeux encore perdus dans des rêves sereins. Toi heureuse, maman, fatiguée. Toi riant, au téléphone, toi en noir et blanc, en sépia et en couleur. Toi jeune, toi mûre, toi aujourd’hui. 

 

Grand-Père Jacques t’aime. Il est fier de ton visage ridé par le temps, de ces chemins de vies comme il aime les appeler, les chemins d’une vie partagée. Il suit la trace de leurs sillons sur ton visage en un geste intime qu’on ne peut qu’envier de l’extérieur. Après tant de temps, vous avez encore votre complicité et vos charmantes attentions. Après tant d’années, vous continuez à vous confier l’un à l’autre vos « petits » secrets qui deviennent grand dans le regard de l’autre. C’est un trésor que l’on vous envie de loin, de vous  être trouvé et surtout d’avoir su vous garder l’un l’autre.

 

– C’est du travail, me répètes-tu souvent. C’est un travail que nous avons fait volontier pour la majorité des jours, mais quelques-une des mes larmes les plus amères lui sont dues. 

 

Aujourd’hui tu arrives avec des airs de grande instigatrice. Avec un regard digne et surtout satisfait, tu tires trois cartes postales noir et blanc de ton sac.

 

– C’est pour Jacques, dis-tu de ta voix grave. 

 

Tu te tais, me lances un regard espiègle avant de reprendre.

 

– Il en a un un paquet dans une boîte à sucre en métal, qu’il cache depuis des années tout en sachant que je passe régulièrement le chiffon à poussière dessus. Je lui en rajoute une de temps en temps. 

 

J’esquisse un sourire. Ces photos sont sages et me renvoient à une époque où même toi et lui n’étiez pas nés. Jacques et Jeanne, Jeanne et Jacques… Je te regarde siroter ton thé vert au jasmin, je savoure ton sourire espiègle alors que ton regard se perd au-delà de la rue, loin au dessus des toits parisiens jusqu’à l’appartement que vous partagez encore. Tu es à côté de moi mais une part de toi est restée là-bas. Vous êtes beaux, tous les deux.

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Grey

4 juin 2010

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Your mother looks like nothing. Her hair hangs like her stained clothes, she doesn’t notice, she doesn’t care. She doesn’t see herself in the mirror anymore, she feels invisible and doesn’t think the world sees her either. Of the reasons of her sadness, her refusal to be, to interact and get involved, you do not have the key. You are old enough to know that this is not right, other mothers do not act like this, other mothers laugh and hug and growl and scream, other mothers have voices that sing and a spring in their steps you have never seen in yours. 

You mother is stuck in winter.

You are ten. You are old enough to know the difference, and yet too young to learn that this is not your fault, that there is nothing that you can do that would change her, wake her up. 

You have pictures of her, before. She looks good and confident. She holds her chin high, in a playful and defiant way, she has sparkles in her eyes and people around her do see her. Immobile on the glossy photos, people’s eyes are drawn towards her, her shinny black hair, her white skin and very green eyes. On these pictures, your mother is strong and powerful and eager. She is like someone that you could want to become, someone alive and dancing her own way through life. You do not recognise this person as your mother. She is a stranger, she is an explanation as to why your father fell in love with her in the first place. She is someone you wish you had in your life. 

She doesn’t get up easily these days, your mother. You hear her clock ring, you hear her hand searching for the snooze button. She finally hits it and rolls in the blankets to face the blank wall. Your father is already at the office, it is you who gets up, checks on the weather, chooses your eight years old brother’s clothes. It is you who takes the bowls and cereals and milk out. You work the coffee machine and bring a mug to your mother. She sighs and struggles to open her eyes on you. Sometimes her face is wet, as if she’s been crying, her face away from the world, her face hiding under a pillow and her hands clenched. She gives you a smile, her sad and tired stare fills with light long enough to let you know that she loves you, she loves you so much. She props herself up and takes the mug and wispers. 

– Thanks hon’, that’s very sweet. I’ll be down in a minute.

You know that she’ll get up and turn the shower on. You know that sometimes she gets in the shower and stays there a long time, letting the water remind her of the existence of her body and making you late for school. You know that other times, she stays on the side and watches the water glide on the white tiles : you know that sometimes she doesn’t shower. She picks up whatever clothes is laying around, comes down and walks you to school. 

You make sure she has clean clothes piled up on her shelves, you work the machines, you don’t iron but you fold and put away. There is a semblance of normalcy in these clothes even though the colors are faded and there are a few buttons missing there and there.

You make sure your brother and you have snacks and that all your notebooks are in your back pack. You imitate your mother’s handwriting and signature well enough now that your teachers don’t know that your mother never reads or knows of anything regarding school. Even your father cannot tell the difference. 

Your father comes home at night and the house is almost tidy, there is a somewhat cooked dinner waiting for him. His wife is already upstairs, in bed, his kids are watching cartoons on TV. There is not a sound, everything is falsely peaceful and quiet. He has a lady come every week to clean the flat and iron his shirts, he goes to the supermarket on Saturday mornings and gets the things his daughter wrote on the shopping list with his wife’s handwriting. 

Your father used to hold the arm of a beautiful glamourous lady. He fell in love with this successful lawyer he’d never managed to beat in court, he courted her consistently, they married, after a while they moved to the suburbs and had children. Nowadays, he forgets who she used to be, how his heart used to beat a little faster, how air would become scarce all of a sudden when she was around. She started to scream, at first, and yell and be unhappy, and then one day she stopped. She gradually faded away, she became quiet and grey and he didn’t notice the change. 

He hasn’t realized his wife is stuck in winter, he doesn’t know of the dormant volcano hiding in her, he doesn’t know of the quiet tears and the sadness. Most of all, he doesn’t know of the suitcases she almost used a few years ago, her mind was set and ready, she couldn’t breathe anymore, she felt like she was going to die of boredom or of a mental breakdown, she didn’t know why she was unhappy, she didn’t have the words, she only had this grounded certainty that something wasn’t right. Your mother had her suitcases ready and by the door, she was writing a note. Then her little girl, you, came running with grass in her hair and mud on her shoes, you came running to her and threw yourself against her, your small arms circling her neck, holding her tight.

– Youzare my prizoner, I lovez you mummy. 

Yes, your mother loves you, too. She’s quiet and looks like nothing, she’s stuck in winter, it is not your fault, she made her own choices.  But who knows, winter cannot lasts forever you hope, spring might be around the corner… Life doesn’t have to be grey forever. 

In the meantime, you hear her clock ring, her hand searching for the snooze button. It is time to get up.