h1

Jonquilles en devenir

21 février 2024

Il reste une odeur de pain grillé et de café dans la cuisine, quelque part dans la maison une fenêtre ouverte envoie des vagues d’air humide dans les couloirs. Tu n’étais pas venue depuis plusieurs semaines, il fallait trouver le temps entre le boulot et les enfants, l’argent pour le train, la force de revenir. Une voisine passe de temps en temps avec des provisions, une aide-ménagère tous les 15 jours. C’est peu, c’est déjà ça.

Tu sais qu’il n’est probablement pas sorti depuis ta dernière visite. Dans la maison le temps s’est recroquevillé autour d’un silence pesant, tu le vois qui lutte pour survivre seul, sans elle, il ne parvient à se laisser mourir sans toutefois s’autoriser à retrouver le bonheur. Ils s’étaient rencontrés à dix-huit ans, mariés à vingt-et-un. Une fille, trois petit-enfants, une vie, cinquante ans de joies communes.

Au fil des mois rien n’a vraiment changé dans la maison. Il reste, sur quelques étagères, des objets qu’elle y avait placé, son parfum sur des foulards, son étincelle qu’on croirait encore dansante. Il y plane un deuil qui refuse de s’éteindre.

Tu as amené des jonquilles en bulbes. Pour voir. Lorsqu’il descend d’un pas hésitant, tu l’enveloppes dans tes bras, bonjour Papa, vous restez ainsi quelques secondes, avant qu’il ne te propose un thé. Ses yeux mouillent alors qu’il fait chauffer de l’eau et sors la théière de ta mère. Elle aussi ne buvait que de l’Earl Grey le matin et du thé vert au jasmin ensuite Tu tiens cela d’elle. Vous restez dans la cuisine, autour de la table, et échangez sur les menues bricoles de la vie courante.

Un rayon de soleil s’affirme timidement et tu sais qu’il est temps. Regarde Papa, c’étaient ses préférées. Vous sortez dans le jardin, il farfouille dans l’abris et sors quelques outils. Il faut choisir les emplacements, gratter la terre, placer les bulbes et marquer les endroits. Les ongles noircis, vous besognez en silence et étendez la tâche à éclaircir quelques bosquets et dégager des arbustes. Vous pensez à elle en faisant, et alors qu’il sifflote distraitement, tu entrevois un espoir, par le jardin, les fleurs, peut-être ensuite le potager, un retour à la vie au rythme des saisons à venir.

Demain vous irez la voir avant que tu ne repartes, dans un autre jardin de pierre, et bientôt ces visites seront accompagnées de ses fleurs. Tu sens l’étaux qui enserrait ta poitrine se relâcher, installée dans ta chambre d’enfance, fenêtre enfin fermée alors que les giboulées arrosent les jonquilles en devenir, tu envisages une semaine ici avec tes enfants, dans le jardin, avec ton père.

Ambiance musicale:

h1

Constance

16 février 2024

Succédant à une pluie nocturne insistante, le vent gronde depuis ce matin. Tu lèves les yeux de ton tableau excel : la fenêtre de ton bureau surplombe la rue, et tu y vois défiler comme tous les matins des groupes d’enfants accompagnés de leurs parents. La piste cyclable devient un terrain de lutte entre les poussettes s’y réfugiant des trottoirs embourbés et des vélos indignés de cette soudaine invasion.

Les altercations sont brèves, les vélos fusant autour des poussettes et lâchant leur mécontentement au passage. Le vent ajoute sa voix, tirant sur les nattes et poussant les manteaux. Le moment est bref, l’école sonnant toujours à l’heure, et tu te replonges dans les chiffres, remarquant parfois du coin de l’œil un passant avec son chien, une voiture un peu trop rapide qui se cogne contre le dos d’âne, le postier à contre vent qui fait grincer les boites aux lettres.

La lumière est timide tant les nuages sont bas, comme si la journée refusait d’émerger, tout reste humide et froid, les trottoirs dégorgeant des orages, la route arrondie comme souvent près des rivières, ton jardin où la mousse prend parfois l’ascendant sur les quelques zones de gazon. Tu sais qu’à onze heures, elle sera là. Tu ne la vois jamais dans l’autre sens – elle doit avoir ses habitudes.

Tous les jours elle fait sa ronde et passe devant ta fenêtre, à la même heure, imperturbable. Ses pas menus, son manteau noir courbé, son cabas usé et rempli de ses emplettes. Tu observes sa lente progression, elle aussi souvent en infraction sur la piste cyclable, tu en as fait un rituel apaisant, une fois disparue tu te lèves et t’étires, tu bois un verre d’eau. Sans elle tu resterais vissé sur ta chaise et fatigué d’écran. Les enfants commencent ta plage de travail et elle la ponctue, même si elle ignore ce rendez-vous qui t’accompagne. Elle risque de s’envoler, aujourd’hui, mais elle est là, luttant contre les sifflements du vent et progressant en ligne droite de façon constante. Sa persévérance est rassurante dans son obstination austère.

Tu n’imagines rien d’autre d’elle, où elle va, sa maison, si elle est seule, mari, chien ou chat, le hors champ n’existe pas, tu t’accroches à sa régularité pour assainir la tienne.

Elle a passé le coin de la rue. Tu te lèves, tu t’étires. Tu respires.

h1

Lisse, bleu, blonde

9 février 2024

Des batailles de ces derniers mois, de la mort qui a arqué ton corps, des larmes perçant ton âme, rien sur ton visage ne perce. Lisse. Bleu. Blonde.

Un sourire, une intonation, et les ongles jusqu’au sang. Quelques failles dans ton armure, recroquevillée, vrillée. Si fatiguée. En résilience, en interdiction de faillir. Il y a, toujours, cette ombre qui plane, cette terreur de l’enfance, cette ambivalence entre briller en fonction des attentes tout en restant invisible. Briguer l’excellence sans faire d’ombre. Parce que, sinon. Lisse, bleu, blonde.

Pas d’échecs, parce que, sinon, lisse, bleu, blonde. Pas de réussite, parce que, sinon. Lisse, bleu, blonde.

Les chants de fillettes, les cris, les joies, les pleurs, les mots, les coups, parfois des mots aussi efficaces que des coups, violence, culpabilité, lisse, bleu, blonde. La bipolarité schizophrène des adultes, l’attente de l’amour et la préparation au pire. Être attendue au sommet et savoir qu’y arriver, c’est mourir. Trouver des alternatives, des biais, des chemins de traverses jusqu’au bonheur. Sur-vivre en coulisse. Etre sauvée, par l’amour de ses sœurs, des yeux verts, ses enfants. Se cacher, attendre, patienter jusqu’à l’impatience. Lisse, bleu, blonde.

Cette semaine une page se tourne. Personne ne sait, sauf toi et quelques proches. De ta résolution, du fait que tu es déjà partie, il aurait suffi de peu pour te retenir mais trop c’est trop, cela prendra le temps nécessaire, cela ne sera sans doute pas facile. Tu traces ta route, en reconstruction, en reprise de confiance, en envies si fortes que, lorsqu’enfin tu te lâcheras, rien ne t’arrêtera. Lisse, bleu, blonde ? Vraiment ? Tu peux envisager le meilleur pour toi-même, parce qu’en fait, chez toi, ça va. Plus lise, encore bleu, peut-être blonde.

Aujourd’hui tu as planté tes mains dans la terre jusqu’à en noircir tes ongles, cette sensation, cette connexion à la vie et à terre, insuffle une énergie et une force indicible. Planter des graines, respirer, être. Les résultats ne seront pas immédiats. Qu’importe, tu sais être patiente, jusqu’au dernier souffle, jusqu’à la bonne respiration, et là, alors, il n’y aura pas de regards en arrière. Lisse pour ceux qui ne savent, bleu pour toujours, blonde parfois, si je veux.

Moi.

ambiance musicale : NTO – Time

h1

I am enough

18 décembre 2023

You look back at the days, the ghosts lost in the past. At the stranger you were whose shadows stay further behind as you continue your journey forward. Today you are joy, and the person you used to be is an alien of whom you can only contemplate the yet unwalked path. She will get there, she will shed the weight she carries and she be will become.

Today, as you grieve the things that weren’t, the loss and the memories of what will never be, you are also thankful. There is a second somewhere, a heartbeat, in an alternate dream time stands still and you have everything, you don’t need to choose. Engraved in your sorrow there is a choice, one that you make over and over, one that could never be altered, the one choice that you made in less time than a butterfly’s shudder, and as you made it you knew, the consequences, the risk, to gain love you would lose another, to mend your heart you had to rip the other half out and you hoped, even in the most clairvoyant second of your life, you clung to the impossible… you knew that because of someone who then breathed on the other side of the planet, you would lose the person in front of you.

They call it a choice, as if your path could have been any different. They said you could have gone on and build a different life, have fun babe, and for a while that’s where you were headed, to live an existence diminished, haunted by loneliness and grey, your heart perhaps preserved but your soul crushed by an irremediable loss. There was an alternate possibility which almost was, of life filled with friends but lived in loss.

You hoped anyways, because that’s what humans do, in the darkest hours we will always look for the smallest sliver of light, even when we are told of what can’t be, still we will keep vigil and call for miracles. And so you tried to speak a language that wasn’t yours, you ventured out of your shell to compromise on a friendship and a love, to try to honour a past that had shaped you while spreading your wings towards a future that would fulfil who you could become. Your present resembled a race that you knew you had lost but refused to acknowledge, out of time, out of breath, your existence stretched as your phone became the final battle ground that one day brutally led to silence.

All the doors closed, your name erased, a diamond on one hand and nothing in the other. The epilogue of this final chapter, the tears on the pages of this book, the tainted memories, the joy now turned to hurt, were not your doing, even as you were told that they were. You had enough love to hold both universes in your heart. The one person that had once told you that you were enough decided that you weren’t, in the end. Worthy of time, energy, understanding, love, support. Could you help that your eyes acted as a mirror, was it your fault that they felt judged by what they saw of themselves in you?

You know. How much you loved, how little you judged, how difficult it was, how exhausted you were, how much to tried – how much you tried to reconcile all the worlds – how people decided for you what you were thinking and what your words meant. You know that maybe you were one day on the other side for others, and of this you are sorry. The days, the weeks, the months build-up to that second, up the hill in a kitchen, you don’t remember the time, the clothes, the light, you only see the look in their face, the door closing in their eyes, the silent rebuttal following these three cutting words “I’ve said my piece”. The judgement had been passed and you were guilty. The conversation would wane, the doors would close, the bridges would be destroyed, slowly, irremediably and you would stand a witness in an iced desert.

Yes you look back on the days and you are sorry for things that could never be, for what wouldn’t be given – somewhere there is a second, a heartbeat, in an alternate dream time stands still and you make the same choice, over and over, because it was the only path, for you to be whole, for the growth that’s been yours; you regret the unsaid, you cry the rage, you breathe in the joy and you find peace. Because, in that second, in that choice, on the journey that you have and will walk, you are loved, you are enough, you are worthy, and you are saved.

h1

Gratitude en joie

11 septembre 2023

La fraîcheur de la nuit oscille à travers la fenêtre, amenant avec elle les prémices du jour. Une émergence en douceur, qui n’ose pas encore tout à fait être. La lumière caresse les draps et se pose sur sa peau paisible. Il est corps, à l’abandon à côté de toi. Petit à petit se dessine son profil, la courbe de son épaule, sa main posée sur ton ventre. Il ne se passe rien d’important autre que ton regard, sa respiration endormie, et cette flamme qui danse au plus intime de toi. La joie infinie de vous êtes trouvés, perdus, puis enfin rejoints en ayant pris le temps de grandir, de vous accomplir et d’assassiner le doute.

Vos chemins furent, vous avez déjà pris le temps vers l’arrière arrière afin de pouvoir regarder ensemble en avant. Vos chemins seront, il n’y a aucune incertitude. Et là, juste en cet instant, avant que la vie n’accélère, tu prends ce temps silencieux de simplement le regarder, le cœur souriant et l’âme en gratitude.

h1

Malgré ce qui n’est pas, demain sera magnifique

6 septembre 2023

Ton deuil est invisible, comme une liane grise silencieuse accrochée à chaque respiration et l’alourdissant, s’agrippant à chaque réveil, amputant la part tranquille de tes pas. Il n’y a pas de date précise, pas de souvenir probant, personne n’a déclaré officiellement l’agonie de votre amitié jusqu’à ce que tout espoir s’y étant attaché en soit arraché d’un coup sec et sans appel.

Quelque part, l’autre existe et vit, dans un ailleurs auquel tu n’appartiens pas. Il t’était possible de l’imaginer, avant, au début, tu avais tes repères, des restes de conversations… aujourd’hui seule quelques ombres colorées dansent dans de possibles lointains.

Les étapes seraient-elles différentes s’il y avait eu un décès autre que celle de votre amitié dont les murs paraissaient aussi évidents qu’indestructibles ? L’implosion ayant été été invisible, combien de vos proches vous imaginent encore intrinsèquement comme un ? Tel un animal blessé, vous vous êtes éloignés pour panser vos plaies sans impliquer la meute. Aurait-il été plus facile de se reconstruire dans le regard des autres ?

Certains jours la peine est pire que la tristesse des cimetières et des affres d’une rupture amoureuse. C’est une perte irrémédiable et vivante. Les kilomètres, les déserts et les océans qui vous séparent rendent improbable la moindre possibilité d’un apaisement. Parce que, déguisés en courtoisie, vos derniers échanges ont été amers et incompris et ont soulevé la vase d’années de petits riens insignifiants séparés mais écrasant rassemblés, parce que les mots donnés et reçus se heurtaient à une confusion se muant en colère et sentiment de trahison, tout le reste, toute la beauté du chemin sur des décennies de partages, de voyages, de lettres, toute cette lumière est déchirée et s’est envolée.

Derrière les sourires et soleil d’une existence autrement immensément heureuse, s’installe un vertige trop sobre au bord du gouffre au fond duquel gis une part de soi, de son histoire.

Chaque jour avance loin de l’autre, parfois la colère laisse place à la résignation, à la sérénité d’une vie éclairée différemment, chaque jour est constant de ce silence dont tu ne sais plus qui l’a imposé à l’autre. Parfois, se résigner ressemble à abandonner. Aurait-il fallu se battre ? Braver la distance et gravir ses sommets pour chercher dans ses yeux la possibilité d’un espoir ? Toi aussi, face aux lignes de sels lancées au sol, tu as fait tes choix et orienté tes pas, tu as choisi tes lignes et des tranchées, entre celles que tu étais prête à franchir et celles qui seront restées intacte.

Aujourd’hui plus qu’hier, tes poumons peinent. Est-ce de ces échos en ligne qu’un ami bien intentionné aurait partagé, ou le fait de savoir son fantôme arpenter les mêmes rues que les tiennes, bientôt, demain, pour quelques jours flottants dont tu ne sais exactement quand ils ne commenceront ni ne prendront fin… bientôt l’autre sera si proche, quasi en effleurement de ton quotidien et pourtant jamais la distance n’aura été aussi immense et irrémédiable.

Malgré ta tristesse, tu poursuis le regard droit, avec parfois un léger pincement, et surtout avec la certitude que tu es digne d’être aimé, et que la vie t’aime immensément. Aimer, c’est aussi accepter ce qui ne peut plus être. Sans se résigner, sans fermer de porte, en gardant en trésor niché au plus précieux de soi ta joie d’être et ta résilience.

Malgré ce qui n’est pas, demain sera magnifique.

h1

Attendre l’orage

3 septembre 2020

Par de-ça la fenêtre les bruits résonnent, au-delà du vent quasi inexistant, un crissement strident, des craquèlements secs et un bourdonnement sourd. La nature a soif.

Alanguie de chaleur, elle s’écrase sur des draps propres et se concentre à respirer. L’orage à venir pèse sur sa poitrine qui peine à se soulever. Elle vagabonde en pensée dans les couloirs lumineux de la maison, les yeux fermés, de pièces en pièces elle imagine cet espace étranger qui semble lui rendre avec indifférence le peu d’affection qu’elle lui porte. Tout est trop grand, trop rangé, trop blanc.

Un chien aboie, quelques voix dans le jardin. Elle reste immobile et s’entraîne à arrêter le temps, pour rêver, disparaître, pour refuser d’attendre. Elle s’aimerait plus forte, égoïste même, elle aspire à retrouver l’odeur du sel, si la mer était là, près d’elle, si elle avait osé s’évader, alors elle marcherait les pieds dans l’eau et les cheveux libérés.

Petit à petit monte une effervescence, la maisonnée s’agite, c’est sans doute l’heure du dîner. Il fait trop chaud, elle refuse de bouger. Bientôt tonneront les éclairs, la pluie s’abattra sur le sol sans merci, éclaboussant la terre, heurtant les tuiles et tambourinant les vitres. Au moins l’extérieur reflétera son âme, à tourner à en cogner les murs. Elle la regardera de son refuge en regrettant de ne pas être dehors, pieds nues sur l’herbe trempée et repue de joie. Elle regarde la vie sans franchir ses propres barrières, se disant que c’est trop tard. C’est tellement plus facile de rester invisible.

Un jour peut-être, respirer sera facile, vivre sera naturel, elle pourra se défaire des chaînes qu’elle a accepté qu’on lui impose. Elle se battra pour elle-même.

Inspire…

h1

Seule, elle touche le vent

26 mars 2020

Par la fenêtre, elle touche le vent. La rue vide résonne de silence, de lumière. Pieds et fesses sur son assise, les bras autour des genoux, la tête penchée vers le haut et reposant contre la vitre de sa fenêtre ouverte.

Il faut chercher en étirant les yeux, un coin de ciel bleu vers lequel se perdre.

Il est six heure du matin, le monde immobile dort encore. En bas les trottoirs abandonnés, les fenêtres des immeubles désespérément désertées. L’humanité terrée… Chaque bruit rassure et étonne, interroge et met en alerte. Seuls, les uns entassés sur les autres à une distance nécessaire des autres.

En opposition à son corps enfermé dans ses maigres mètres carrés, son esprit se libère et s’évade.

L’odeur de l’herbe juste coupée, sa fraicheur un peu piquante sous les pieds. Les reflets sur l’eau et les péniches du canal admirées lors des ballades dominicales. L’odeurs des gaufres sucrées disponibles au coin de la rue… les conversations simples et spontanées dans l’ascenseur. Il faut se souvenir, faire l’exercice mental d’une normalité temporairement oubliée.

Elle se raccroche au bleu au-dessus d’elle et inspire… tant que tu respires, que tes poumons se gonflent et s’enivrent, que tu ne tousses pas et que les migraines restent invisibles et les allergies au loin, tant que les symptômes s’effacent, goût, odorat, alors tout va bien, je vais bien, on va tous s’en sortir, mentalement je rembobine, la dernière poignée de porte touchée, les boutons dans l’ascenseur, les lavages de mains et les désinfections au gel hydromachin, ai-je salué mon voisin d’assez loin… il faut décompter ses malades dont les noms s’empilent et encombrent son téléphone, valider le nombre de jours entre nous, la période d’incubation c’est combien déjà, la maladie dans la solitude, ça se gère comment?

Sur les réseaux il y a ceux qui s’affolent, ceux dont les memes prennent tout l’espace et ceux qui ne répondent plus, dont on ne sait s’ils restent pudiquement dans l’ombre ou si leur voix plus jamais ne s’élèveront. Son téléphone reste son dernier lien social, il la relie au monde comme un cordon ombilical oscillant entre réconfort et névrose, rompant la nuit, épuisant le jour, il faudrait le poser peut-être, retrouver l’instant et oser accepter l’attente.

Il faut gérer ses placards, « rationaliser les ressources » pour « optimiser ses sorties ». Entre courses virtuelles ou IRL l’obsession est la même, le risque de contamination par la boite de lentille devient une menace omniprésente, le contact avec l’autre est passé de convivial à dangereux, je reste loin de toi, tu restes loin de moi, la distance de toi vers moi, de moi vers toi, le risque qu’on s’entre-contamine, ne me croise pas et ne me touche pas.

Elle s’imprègne de bleu, par la fenêtre elle touche le vent. Paisiblement, elle ferme les yeux, s’apaise et respire.

h1

Inspiration

22 février 2020

Elle oublie le temps, avant demain, restent la chaleur du cœur qui bat contre elle, les secondes immobiles, les draps froissés en enveloppements. Il garde son bras dans un creux ondulant, respire sa nuque dégagée.

Le présent est simple. De leur abandon elle puise ses forces.

Le soleil voyage derrière les arbres du jardin qui lancent leurs feuilles en marionnettes d’ombres sur le mur, face à la fenêtre.

Leur réveil est immobile, attentif. A lui, elle, aux signes de retour des enfants. Il la serre doucement, elle grave en elle cette plénitude, ils inspirent.

Il faut malgré tout se lever, se déplier en lente inspiration, retrouver la pesanteur du présent. Elle dompte ses lourdes boucles sombres, ses bras en ballerine gracieuse précise s’agitent alors qu’elle arpente silencieusement leur chambre à la recherche de ses vêtements. Il s’installe à la fenêtre et vagabonde.

Il prolonge l’instant, elle retarde le retour au quotidien.

Des rires s’élèvent dans leur vaste cage d’escalier, traverse de l’entrée au jardin, une course furieuse s’engage sur la pelouse : il fait si chaud, se joue la guerre de l’eau.

Un dernier regard, ses pupilles aimantées au siennes et il s’élance pour les rejoindre. Transformé en général, il ordonne la troupe de leurs enfants et voisins, les embuscades s’organisent, les alliances se forment, un calme trompeur s’installe.

h1

Compass

8 octobre 2019

I had sworn we never would, but here we are, back in the same space together, trapped. Together and apart, breathing in in spite of ourselves, tied to the same fate like cursed Siamese, pulling in and away. Here I am, here you are, saving face, reluctantly running and standing still.

As long as your work is unfinished, as long as pathos gets in the way, your steps are retracing themselves in a repetitive and inescapable circle.

All I can is to watch you, I stand at the center like the point of a compass, only instead of pointing the way I have become an anchor.

If I close my eyes I will still know where you are – not very far, not really close, getting uselessly breathless.

My words are not welcome, I am not doing anything other than waiting, and yet, I am tired.

There should be a way forward. For both of us. By steadying you, have lost myself. Where is my path, the one that led me here – where are my choices? The wind of time and doubts has erased my past and thus I know not which way to face in order to find myself again.

Yet there is no despair, only hope and the certainty of a better way. I watch you running to exhaustion, pulling forward and shielding away. Waiting for the spark, the trigger that will derail you from his useless quests. A spark that is not I. Once you can fly away, where will I be?