Posts Tagged ‘joie’

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Battement d’une larme au sein d’un coeur fêlé

18 décembre 2014

Il faut recommencer, réapprendre, les doigts qui se délient, les espoirs qui renaissent, le corps secoué par la mort et réveillé à nouveau vers la vie, réconcilié de sa souffrance quotidienne tandis que l’oxygène se fraye en force des étranglements quotidiens et explose les poumons, le cœur, les cernes, l’âme déployée en attente d’infini, il faut oser, croire, avancer, se libérer de ses propres barrières et donc oser croire, surtout, en soi, en l’impossible, en la force de la lumière sortant de l’ombre, en la possibilité d’un lendemain ; il faut fouette cocher, il faut serrer le mors et s’élancer, s’autoriser des pas en étourdissements et en étonnements d’être encore là, ici, le chemin existe toujours devant, le brouillard des jours, des mois et des années se perce enfin des rayons chauds d’un astre bienveillant et immense, alors que les larmes des disparus n’ont pas encore séché et que la terre fraîche reste à creuser ; il faut se souvenir gravement et tendrement des jours passés, des pas côtes à côtes le long de la rive, entourés de bleu et de vent humide – chérir ce qui fut et ne pourrait être – il faut croire qu’on peut oser s’élancer et s’autoriser un bonheur en peine des absents avec au cœur un feu brûlant de les avoir connus, cette sagesse solennelle caressée d’une brise en sourire léger de savoir que sans eux nous ne serions qu’une ombre, qu’ils nous ont révélé à la lumière, nous ont donné chair et résonance, nous ont positivement marqué au fer au point que chaque palpitation manque de défaillir en vertige de leur départ et que nos mains se rattrapent et nous raccrochent au présent sans parvenir à combler les manques…

Tournoie autour de nous la joie permanente dont ils ont imprégné nos êtres, même s’ils nous ont quittés et que leurs noms résonnent au dessus des vagues d’une mer constante et imprévisible : quel que soit leur nom, quel que soit leur âge, quel que soit le temps dont ils ont fait grâce à la terre, quel que soit l’apaisement ou la violence de leur arrachement, nos cœurs sont des rescapés, des survivants, agenouillés et en faille sur le sable salé, debout face à une falaise hurlante à invoquer le ciel, chaque respiration dépouillée de leur présence, de la certitude qu’il existe une cohérence, une raison, chaque apport d’oxygène nous rappelle à l’humilité face à l’Immense et nous enveloppe du sentiment béni d’avoir frôlé l’indicible et d‘avoir été aussi entièrement Aimé.

Il n’y a pas de mots, il n’y a pas d’explication, les mesures de la faille en nous n’a pas d’importance, nous avons été aimé, et cet amour ne saurait disparaître quelles que soient les circonstances.

Nous avons le droit de pleurer, d’être en colère et de ne vouloir tolérer les règles d’un jeu pipé à l’issue inéluctable – nous sommes dans l’arène particulière de notre propre Hunger Game, chaque seconde éloigne notre curseur du début pour le rapprocher de la fin et nous ne connaissons pas la distance à parcourir… et pourtant, et pourtant, nous continuons, nous vivons, nous aimons, chaque battement de cœur est souffrance et rappel, chaque regard ou sourire en célébration d’un instant arrêté, d’un chant éblouissant apaisant nos blessures, glissant le long de nos cicatrices pour soutenir les jours à venir car il faut recommencer, il faut s’élancer librement vers l’espoir de la vie, forts d’une armée de souvenirs bardés d’amour et de lumière, il faut oser vouloir tout, maintenant, avant que la marée ne remue le sable et n’efface tout.

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Des cheveux fins et des après-ski

15 février 2010

 

 

Tu sorts de la voiture comme une fusée. 

Le monsieur qui vit dans la sienne est là, tu regardes à travers sa fenêtre avec curiosité. Il dort, la tête penchée sur ses ongles croisés, avec son manteau vert et son béret. 

Ta Grand-Mère n’a pas le temps de te rattraper. Tu t’engouffres sur le sentier à travers les arbres. Le parking est loin de l’école, il faut dévaler le chemin qui aboutit sur l’imposant parterre à gauche, devant la mairie. C’est un petit château classé entouré de pigeonniers, derrière lui la Marne, et à côté l’école, qui fut un jour ses communs.

Tu ne sais rien de tout cela, les arbres, la pelouse soignée, les fleurs, la jolie école, tout cela est normal, tout cela fait partie de ton monde.

Ton monde, le monde. Tant de choses à découvrir.

L’enfant qui tient ma main vole à ta poursuite, un peu hésitante. Elle aussi a envie de courir dans la neige, de virevolter en riant. Elle te suit avec prudence, elle n’a pas décidé encore.

Il y a peu de temps, elle aurait marché à petit pas en maintenant la distance entre ton manteau brun et le sien. Rose vif. 

Une tâche rose et une autre brune.

 

La directrice t’a pris par la main et t’a emmené dans chaque classe. Neuf fois, elle est entrée en souriant, un peu nerveuse, un peu crispée, très soulagée aussi.

– Bonjour, je vous présente votre camarade. Vous le connaissez depuis presque deux ans, mais aujourd’hui on va tout recommencer à zéro. Bonjour, je vous présente un nouvel ami, il est gentil, il a envie de se faire des copains.

On efface tout et on recommence.

Ta Grand-Mère n’a pas le temps de te rattraper. Elle marche comme elle peut, avec son amour immense niché au chaud entre son écharpe et son manteau, elle t’emmène le matin, vient te chercher le soir, elle fait le lien entre ta famille, les médecins, les psy, l’école, les autres mamans, la mairie, ta Grand-Mère est le centre du monde. 

Tu ne sais rien de tout cela, des inquiétudes, des larmes, des négociations. Son amour, sa présence, ses mots d’encouragement, tout cela est normal pour toi. 

Tu plantes tes après-ski au milieu de la pelouse et tu lances ton bonnet en l’air. Tes cheveux fins éclaboussent ton visage et tu écartes les mains en riant. A côté de toi, une tâche rose marque la neige aussi. Ses pas n’osent pas encore croiser les tiens mais son rire rejoint ta joie.

Vous vous tournez vers le portail, vers la grille. A l’intérieur, les enfants jouent déjà, on entend leurs cris. Il ne reste qu’une ligne droite. Vous vous élancez, tu ne ralentis pas, tu ne vois même plus ce qui fut ta bouée en métal, hop, un crochet pour un bisou et tu disparais dans les jeux bruyants de tes camarades. 

Mon enfant fait demi-tour, s’agrippe fougueusement à moi et repart tout de go. A son tour, elle devient une élève comme les autres. 

 

Je suis un moment ma tâche rose des yeux, comme ta Grand-Mère suit la sienne, ton blouson brun et ton bonnet bleu. Nous repartons, à petits pas, avec précaution. Avec un sourire timide dans la neige silencieuse.