
Des cheveux fins et des après-ski
15 février 2010
Tu sorts de la voiture comme une fusée.
Le monsieur qui vit dans la sienne est là, tu regardes à travers sa fenêtre avec curiosité. Il dort, la tête penchée sur ses ongles croisés, avec son manteau vert et son béret.
Ta Grand-Mère n’a pas le temps de te rattraper. Tu t’engouffres sur le sentier à travers les arbres. Le parking est loin de l’école, il faut dévaler le chemin qui aboutit sur l’imposant parterre à gauche, devant la mairie. C’est un petit château classé entouré de pigeonniers, derrière lui la Marne, et à côté l’école, qui fut un jour ses communs.
Tu ne sais rien de tout cela, les arbres, la pelouse soignée, les fleurs, la jolie école, tout cela est normal, tout cela fait partie de ton monde.
Ton monde, le monde. Tant de choses à découvrir.
L’enfant qui tient ma main vole à ta poursuite, un peu hésitante. Elle aussi a envie de courir dans la neige, de virevolter en riant. Elle te suit avec prudence, elle n’a pas décidé encore.
Il y a peu de temps, elle aurait marché à petit pas en maintenant la distance entre ton manteau brun et le sien. Rose vif.
Une tâche rose et une autre brune.
La directrice t’a pris par la main et t’a emmené dans chaque classe. Neuf fois, elle est entrée en souriant, un peu nerveuse, un peu crispée, très soulagée aussi.
– Bonjour, je vous présente votre camarade. Vous le connaissez depuis presque deux ans, mais aujourd’hui on va tout recommencer à zéro. Bonjour, je vous présente un nouvel ami, il est gentil, il a envie de se faire des copains.
On efface tout et on recommence.
Ta Grand-Mère n’a pas le temps de te rattraper. Elle marche comme elle peut, avec son amour immense niché au chaud entre son écharpe et son manteau, elle t’emmène le matin, vient te chercher le soir, elle fait le lien entre ta famille, les médecins, les psy, l’école, les autres mamans, la mairie, ta Grand-Mère est le centre du monde.
Tu ne sais rien de tout cela, des inquiétudes, des larmes, des négociations. Son amour, sa présence, ses mots d’encouragement, tout cela est normal pour toi.
Tu plantes tes après-ski au milieu de la pelouse et tu lances ton bonnet en l’air. Tes cheveux fins éclaboussent ton visage et tu écartes les mains en riant. A côté de toi, une tâche rose marque la neige aussi. Ses pas n’osent pas encore croiser les tiens mais son rire rejoint ta joie.
Vous vous tournez vers le portail, vers la grille. A l’intérieur, les enfants jouent déjà, on entend leurs cris. Il ne reste qu’une ligne droite. Vous vous élancez, tu ne ralentis pas, tu ne vois même plus ce qui fut ta bouée en métal, hop, un crochet pour un bisou et tu disparais dans les jeux bruyants de tes camarades.
Mon enfant fait demi-tour, s’agrippe fougueusement à moi et repart tout de go. A son tour, elle devient une élève comme les autres.
Je suis un moment ma tâche rose des yeux, comme ta Grand-Mère suit la sienne, ton blouson brun et ton bonnet bleu. Nous repartons, à petits pas, avec précaution. Avec un sourire timide dans la neige silencieuse.
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