Vendredi, 17h00, tout est tranquille. Belou attend son père en coloriant une princesse, tu prépares un coulis de tomate basilic pour un dîner simple entre Olivia et toi. Tu remues doucement tes ingrédients qui fondent dans une casserole et l'odeur délicieuse monte lentement dans ton appartement. Olivia est debout derrière Belou et passe inlassablement une brosse dans ses longs cheveux. C'est un rituel entre les deux, les filles d'Olivia ont les cheveux au carré et ce geste lui manque. Quand à Belou, elle adore ça.
C'est la semaine sur deux de liberté d'Olivia. Dans trois jours, dimanche soir, elle récupèrera ses trois enfants et se transformera en mère modèle.
Lorsque tu as emménagé il y a six ans, Olivia Lagrande était une mère au foyer sage et effacée "qui n'osait pas". Elle rangeait méticuleusement ses cheveux flamboyants dans un chignon, s'habillait de terne et bougeait sans bruit, le dos un peu vouté et le sourire constamment au bord des larmes. Parfois, lorsqu'elle oubliait, son visage s'illuminait alors qu'elle laissait un rire de gorge s'envoler d'elle pour se déployer dans la pièce. Vous aviez chacune des tristesses qui vous ont réunies, et aujourd'hui Olivia est un pilier dans ta vie, une amie sur qui tu peux compter aveuglément.
Un jour, Olivia s'est vraiment réveillée. Apres tant d'années passées immobile sans oser songer à elle, elle s'est mise debout. Quand elle en parle, son résumé est succint.
– Je ne supportais plus le bruit du frottement de la serviette sur son corps à travers la porte de la salle de bain, son pas lourd sur le sol, ses raclements de gorge et ses notes d'hôtel et de blanchisserie qu'il n'avait pas la délicatesse de cacher. J'ai fais un régime express de 95kg. Voilà.
La réalité est plus dure. Marc, son "gros" n'a pas apprécié de revenir un jour d'un "weekend d'affaire" pour trouver une femme déterminée dans son salon, qui elle, avait passé deux jours à lui faire ses valises. Qui avait un nouveau look, ses cheveux roux dénoués sur un décolleté sexy, un nouveau job, et une garde robe financée par la carte professionnelle American Express de Marc.
Olivia avait atteint un point de non retour. Dans son exaspération, elle avait oublié de ménager Marc, et il le lui fit payer. Leur divorce traîna de longueurs en conflits, les enfants et comptes en banque au milieu. Elle sortit chaque facture, chaque relevé bancaire d'infidélité qu'elle avait collectionné du fond de ses poches. Il fit jouer son inactivité professionnelles, les vacances, les années de thérapies.
Après trois ans de guerre, leurs enfants mirent fin aux attaques et les forcèrent à s'entendre, chacun à leur manière, sans s'être concertés. Olivia et Marc se retrouvèrent face à leur plus jeune de huit ans, Amélie, régressant de cauchemars et phobies au pipi au lit. Antoine, ancien premier de classe, célébra sa sixième par des minifugues d'un jour et un échec scolaire fulgurant, et Alice, quatorze ans, se révéla être en dépression profonde, diagnostique révélé suite à un refermage de paume accidentellement répétitif sur un cutter.
En deux mois tout fut réglé. Le divorce, la garde alternée, la thérapie familiale et les modalités extrêmement respectueuses par lesquelles ils se forcèrent à communiquer.
Aujourd'hui une routine s'est installée. Pendant sept jours, Olivia est une louve qui arrive tard au bureau et part tôt, ou du moins pas trop tard. Elle veille sur les siens, fait réviser les devoirs, travailler le solfège. Elle cuisine "vrai" à tour de rôle avec chacun de ses enfants, limite l'accès TV et leur apprend à faire leur lit, jouer à la belote et repriser leurs chaussettes.
Les sept jours suivants, Olivia n'a pas de contraintes. Elle avale rapidement n'importe quoi quelque soit l'heure, enchaîne soirée et rendez-vous galants directement après ses horaires tardifs, et fait valser conventions et amants très désinvoltement.
Une part de toi pense qu'Olivia fait une sorte de crise de l'après-mariage, de l'après-prison. Ça et le fait qu'Alice ressemble plus à une jeune femme qu'à une enfant…
Tu n'as pas reparlé de l'étranger-Jacques avec Olivia. Tu as un peu peur d'apprendre qu'il fait partie de ses "réguliers", voire même de ses aventures d'un soir. Cela ne devrait pas être important, mais pourtant ça l'est. Tu touilles lentement ta sauces, tu toussottes et :
– Tu le connais depuis longtemps, Jacques?
La bouche d'Olivia se fend d'un grand sourire. Elle s'apprête à te répondre, lorsque tout à coup elle sursaute et lance sa brosse sur la table en poussant un petit cri de surprise mêlé d'horreur. Belou elle aussi sursaute. La brosse rebondit sur son dessin et une petit bête minuscule en sort, remontant lentement un cheveux blond de Belou.
– Ce n'est rien, c'est un poux, dit Olivia d'un ton qui se veut rassurant, j'ai ce qu'il faut en bas, je reviens.
Olivia tourne des talons et s'engouffre dehors de son pas décidé en laissant la porte ouverte.
Belou se lève. Elle est blanche comme un linge et se tient la tête à deux mains.
– J'ai des poux dans ma tête? demande-t-elle d'une voix paniquée.
Interloquée, tu es face à elle, une cuillère en bois à la main sur laquelle la sauce rouge dégouline jusqu'à ton tablier en toile de jute foncé. Devant ton silence, Belou part en courant, son hurlement la suivant à travers l'appartement. Elle fonce, grimpe l'escalier et s'enferme dans la salle de bain.
"Clac". Le verrou est tourné. Olivia arrive alors à bout de souffle, brandissant triomphalement divers produits anti-poux.
– Bah alors, elle est où Belou?