Posts Tagged ‘Noël’

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Le Noël de Belou 2

2 janvier 2011

Ton réveil sonne. 

Trop tôt. 

Ce matin, premier jour de l’année, tu ne te cognes pas en te levant. Tu n’en a pas la force, mettre ton corps à l’horizontale est impossible, tu roules lourdement jusqu’au bord du lit et tu glisses à terre encore enveloppée dans ta couette. La tête en bataille, les cheveux blonds rebiquant dans tous les sens et les yeux difficiles, tu te recroquevilles en oeuf en poussant un gémissement. 

Déjà le matin, déjà une nouvelle année, déjà Belou qui va revenir de son réveillon passé avec son père et une inconnue. Une « elle » dont tu n’as que le prénom : Nadège. Sans doute une grande et fine belle-gueule bien manucurée et habillée en beige. Nadège, ça rime avec neige et manège. Tu la déteste déjà cordialement.

Il t’avait bien proposé, la semaine dernière, de garder Belou avec toi… Tu as refusé sèchement, par fierté, par idiotie. 

Le jour de Noël, ils sont arrivés tous les trois à l’heure pile: Mamilou, Papilou et Damien. Belou était restée calme, les yeux brillants d’anticipation. Savourant chaque moment de l’attente, de savoir qu’elle allait passer quelques heures sans avoir à choisir entre l’un de ses parents. L’amoncellement de paquets était alléchant, mais son vrai cadeau de Noël c’était cela.

Mamilou et Papilou connaissent bien votre royaume. Ils t’ont aidé à y emménager alors que tu étais enceinte de Belou. Avec beaucoup de tendresse et de tristesse, ils ont monté tes cartons et ajouté quelques meubles chinés à ton mobilier IKEA. Sans une question, sans un commentaire sur leur fils ou toi ou vous. Mamilou et Papilou ont respecté le silence de votre histoire. Sans prendre parti, ils ont néanmoins choisi – si tu le voulais bien  – de rester dans ta vie et dans celle alors à venir de Belou. 

Mamilou est une belle italienne aux yeux et aux cheveux autrefois noirs qui s’appelle Anna. Papilou est encore follement amoureux d’elle et l’appelle depuis toujours « Bellana », pour « Bella Anna ». Lorsque Belou est née et que tu l’as appelée Annabelle, ils en ont eu les larmes aux yeux. Ils attendaient depuis douze heure dans le café d’en face. Douze heure à crier au téléphone toutes les trentes minutes sur leur fils en réunion d’affaire, puis en déjeuner-réunion-brief-et-bilan d’affaire,  puis en match de squash d’affaire, puis en dîner d’affaire, toute une journée à s’égosiller avec honte sur leur fils qui ne venait pas, qui avait autre chose à faire. Douze heures que tu as passées seule, la peur et la haine au ventre, hurlant toi aussi sur Damien, lançant ta voix se cogner avec bruit dans les couloirs en pleurant et en t’agitant contre les sages-femmes qui voulaient que tu te taises: vous faites peur aux autres futures mamans mademoiselle. Si vous continuez on vous mets sous anesthésie.

Le 25 il bien était là. Le visage fermé, les doigts agaçant son téléphone, regardant une nouvelle fois ton intérieur avec attention, les photos et tableaux aux murs, l’agencement blanc des murs et bibliothèques, la chambre de Belou avec fenêtre sur salon, la cuisine et la mezzanine. Ton père lui a mis un verre dans les mains puis est retourné aider ta mère avec la dinde, tandis que Mamilou et Papilou farfouillaient avec aisance dans tes placards, sortant assiettes, plats, verres (ceux-là ou les flûtes en cristal?!).

Finalement une Belou presque timide l’a accaparé pour un grand tour officiel de son chez-elle-chez-maman. Il s’est laissé guider en silence, son regard s’est détendu, tu l’as même entendu rire, vos regards ont accepté de se croiser voire de se sourire et la journée s’est déroulée de façon sereine. Vous étiez tous deux aux côtés de votre enfant, attentifs à ce qu’elle passe une bonne journée, à ce qu’elle ne se fatigue pas trop alors qu’elle sortait à peine de l’hôpital. Attentifs, aussi, à ce qu’elle comprenne que cette journée était exceptionnelle. Qu’il n’y en aurait pas d’autres. 

Après le déjeuner, le café dessert pendant lequel Belou a déballé ses cadeaux et vous les vôtres, après la ballade digestive (un tour du pâté de maison) puis le thé et chocolat chaud, il est venu t’aider à vider le lave-vaisselle. Te tendant les objets de ton quotidien pour que tu les ranges. 

– Si tu veux, je peux te ramener Belou le 31 au soir, a-t-il suggéré d’une voix neutre.

Surprise, tu t’es arrêtée sur la pointe des pieds, une pile d’assiettes en vertige au-dessus de ta tête, le regard interrogateur. 

Il s’est mordu la lèvre avant de poursuivre.

– Je peux la garder bien sûr, mais… j’aurai de la compagnie. 

Silence. Tu as enfin stabilisé les assiettes dans le placard dont tu as fermé doucement la porte. Quoique Belou n’ai jamais vue de femme, il y avait des signes… (Tu sais, c’est drôle, Papa il a deux brosses à dents ET du rouge à lèvre! ).

– Elle s’appelle Nadège, poursuivit-il en ouvrant les mains dans un geste d’apaisement insupportable. 

Bien sûr qu’il a le droit d’avoir une Nadège! Bien sûr que tu t’en fous!

– Non ça ira, as-tu lancé sèchement. 

Il a hoché de la tête. Deux heures plus tard, une Belou sautillante repartait avec son père, te laissant dans un appartement vide et amers, face à une semaine de travail intense à l’agence puis une cuite magistrale chez ta voisine Olivia hier soir, enfin, ce matin avant de t’endormir…  

Toujours en oeuf sur le sol, enroulée dans ta couette, les mains sur la tête,  tu essayes d’ignorer le réveil qui sonne à nouveau. Dans trois heures, Belou sera de retour de sa semaine chez son père, et de son réveillon avec Nadège et lui. Il serait bien que tu aie ingurgité quelques kilos de paracétamol et pris une douche d’ici-là.

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Le Noël de Belou 1

25 décembre 2010
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La messe de minuit était belle hier, Belou s'est tenue comme un image, une Belou emmitouflée et surveillée de près, mais tu étais distraite, tu n'as pas vraiment regardé ni écouté. Vous pratiquez rarement et Belou n'est pas la première à vous traîner à l'église. Hier tu étais ailleurs, tu étais déjà à aujourd'hui, à maintenant.

Belou n'est sortie que jeudi 23 de l'hôpital, les médecins ayant préféré la garder 24h de plus. Vous avez à peine eu le temps de faire quelques courses, de humer les odeurs de chocolat chaud et de noisettes grillées en flânant sous la neige devant les vitrines des magasins. Tu couvres tant Belou d'écharpes et de gants et de chaussettes et d'après-ski qu'elle se plaint que la fièvre va la reprendre… Maman, j'ai trop chaud…

Fatiguée par sa convalescence et la messe de la veille, elle s'est levée tard ce matin, ta petite princesse aux pieds nus, encore à moitié endormie mais voulant absolument vérifier que la magie avait fonctionné, qu'il y avait une pile de cadeaux sous ses souliers. Elle les avait entourés de panneaux attentionnés mentionnant les noms de ses invités. Des petits papiers pliés sur lesquels elle avait recopié avec application tes modèles d'écriture, afin que les adultes qu'elle aime ne soient pas oublié par "le petit-Jésus-qui-envoie-le-Père-Noël-dans-la-cheminée-parce-qu'il-ne-peut-pas-être-partout" (et en plus, rajoute Belou avec une implacable logique, c'est un bébé maman, il ne peut pas porter de cadeaux ni conduire un traîneau…)

Une grande conspiration d'amour s'est organisée autour de ce Noël "ordinaire" si extraordinaire… Mamilou et Papilou ont un double de tes clés. Un lien particulier te lie à eux depuis la naissance de Belou, ils sont présents dans sa vie et la tienne et tu oublies parfois qu'ils sont les parents de Damien.  

Avec Damien, ils ont laissé leurs sacs remplis de merveille en catimini dans ta cave sans avoir à te déranger. Tu avais rendez-vous avec ton père et ta mère tôt ce matin. Ensemble, vous avez monté les cadeaux de la cave en y ajoutant ceux qu'ils avaient entassés dans leur coffre.

Lorsque Belou se lève, un amoncellement de boîtes et de paquets enchevêtré de bolduc s'étend derrière ses souliers. Ses souhaits ont été respectés, les petits panneaux sont également accompagnés de cadeau. Emerveillée, elle s'assoie et boit des yeux ce spectacle, respectant ta consigne de ne rien toucher. Tu as été claires, tes mots sont irrévocables, elle n'a le droit de rien toucher tant que tout le monde n'est pas là… et tant qu'on n'est pas sortis de table, as-tu ajouté d'un ton tranchant. Tu sais qu'il s'agit là de ta vengeance, elle est inutile et basse et petite, mais c'est ainsi, tu en veux à ta fille de t'obliger à partager Noël avec son père, tu comprends son désir mais tu en es remplie de frustration et de colère et de craintes. Tu te fais figure de soldat dans une tranchée qui irait trinquer avec un ennemi le temps de la trêve des confiseurs.

Belou reste un moment devant la crèche, le sapin et les cadeaux tandis que tes parents s'affairent à préparer le repas de Noël sur un fond musical de Sinatra. Ta mère lui offre enfin un bol de chocolat chaud et une tranche de brioche. Ta fille se huche sur un tabouret sans quitter les cadeaux qu'elle contemple avec un plaisir simple rempli d'anticipation. Amusée, tranches des carottes et des concombres en brins à tremper dans des sauces. Tu t'imprègnes de la vue de ta fille qui grignote en spéculant, et tu t'obliges à de grandes respirations… les minutes passent, vos invités seront bientôt là. Vous allez entourer Belou et lui offrir le seul présent auquel elle tenait absolument. Elle va ouvrir ses cadeaux en une seule fois avec sa maman d'un côté et son papa de l'autre.

En attendant, ta gorge se serre et l'odeur de la dinde qui commence à cuire dans le four te monte à la tête et vrille ton estomac. Il n'est que 10h du matin, mais tu prendrais bien un verre de vin… 

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Le caprice de Belou

22 décembre 2010

Elle est assise sur son lit, son petit-déjeuner encore devant elle, ses cheveux blonds épars sur sa chemise de nuit rose pâle, les poings serrés sur ses draps et la bouche réduite à un mince filet mécontent. Son visage est encore creusé par la semaine qui vient de s'écouler, ses grands yeux noirs sont encore vilainement cernés. Sa peau est pâle malgré la rougeur qui vient de l'envahir soudainement.

Elle a l'air si fragile et si féroce à la fois. 

Aujourd'hui c'est son dernier jour à l'hôpital et Belou fait un caprice. Elle s'y accroche mordicus, elle te fait front sans mot dire, butée, les yeux fixes remplis d'orage et tu es un peu déconcertée d'être ainsi devant un miroir obstiné de toi. Tu es surprise et fière aussi, d'avoir transmis cette force d'immuabilité à ta fille malgré les tourbillons ingérables que cela entraîne parfois. Malgré les batailles qui s'annoncent et dont tu te sens fatiguée d'avance.

Tu vas et viens, tu cajoles, tu changes de sujet, tu te fâches et tu lèves la voix. Mais enfin, ce n'est pas elle qui commande bon sang de bon soir! Pour qui tu te prends, le chef c'est moi!

Elle ne te répond plus. Elle attend. Des scènes de ton enfance te reviennent, tu te vois ainsi décidée et crispée : si on essaie de la bouger, Belou restera les muscles figés sur cette position en L dans son lit. Elle ne mangera pas, ne parlera pas, t'ignorera jusqu'à ce son but soit atteint. Pour avoir vécu des scènes de colères furieuses où Belou tapait des pieds en hurlant, tu devines dans son attitude irrévocable la force de son souhait. Ce que tu prends pour un caprice lui est assez important pour le reste s'efface, il n'y a plus que cela, ce désir, cette demande, cette exigence.

Cette année, Belou veut passer Noël avec Papa, Mamilou et Papilou, et avec Maman, Grand-Mère et Grand-Père. Ensemble. A la maison. Chez vous, chez toi.

Tu as un frère et une soeur, son père a lui une soeur, il existe une ribambelle de cousins mais Belou ne les réclame pas. Elle a ainsi limité sa requête, elle a essayé d'être raisonnable dans sa demande de rançon.

Car tu es, face à elle, complètement prise en otage. 

Lui céder, mais comment? Comment garder la face, l'autorité parentale alors que tu lui a apposé avec violence un Non définitif. Un Non immédiat, sec comme une claque en réponse à la gifle que tu as reçu en l'entendant ainsi réclamer un Noël "normal".

Continuer à refuser, c'est risquer sa convalescence, c'est risquer une fièvre, un affaiblissement, une rechute. Il y a une semaine tu craignais la perdre, et ce matin tu sais que tu as perdu une partie d'elle, la bataille et la guerre, tu te sais vaincue. 

Tu soupires. 

Je t'aime, tu sais. 

Elle sait.

Tu prends ton téléphone et tu appelles Damien la mort dans l'âme. Tu n'as pas envie, tu n'as pas envie qu'il revienne chez toi, qu'il mette ses pieds sous ta table et qu'il trinque. Jusqu'à la semaine dernière, ton intérieur était vierge de lui et c'était bien. Jusqu'à la semaine dernière, vous étiez parvenu à cloisonner égoïstement votre co-parentalité au maximum, communiquant par mails, téléphone, et quelques cafés de temps à autre avec un ordre du jour et un compte-rendu quasi-professionnel. 

Et Belou? Belou elle, a goûté à autre chose ces derniers jours. Elle a vu ses parents dans une même pièce, à ses côtés. Deux adultes qui ne se regardent pas, qui ne se parlent pas ou peu, deux grands adolescents qui n'ont pas fait le travail sur leur relation passée, qui restent sur des blessures qui ne cicatrisent pas, sur une histoire qu'ils auraient souhaitée autre et dont ils sont ressortis amers et déçus. Mais deux adultes surtout sans qui elle ne serait pas, qui l'aiment à la folie et qui l'élèvent et l'éduquent avec les meilleures intentions et tout leur amour. 

Sa demande est aussi sincère qu'elle est simple. Elle demande une trêve, le temps d'une journée.  

Damien répond à la première sonnerie. Tu lui passes sa fille qui enfin se détend et sourit.

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De la neige sur le pare-brise

26 décembre 2009

Blason


La mairie est une jolie bâtisse classées aux monuments historique et nichée dos à la Marne. Elle bénéficie d’un petit parc  avec des pigeonniers et une école. Une école classé également, qui accueille 243 enfants de trois à cinq ans. 

 

L’endroit est calme, les arbres dénudés agitent leurs branches au vent et seuls les cris des enfants pendant la récréation percent le froid jusqu’à vous.

 

Il a neigé aujourd’hui et hier. 

Vous êtes dans votre voiture. Vous dormez. Parmi la multitudes d’affaires entassées contre les vitres, il reste de la place pour vous sur le siège conducteur. Vous êtes emmitouflé dans un manteau en laine et vous dormez.  Votre visage est paisible, penché sur votre poitrine, votre visage ressemble à celui des grand-pères qui emmènent leur petits enfants à l’école, en face, à 50 mètres, de l’autre côté de la pelouse. 

Il y a de la neige sur votre pare-brise, il faut se pencher près pour vérifier que vous respirez toujours, en demandant à son enfant de se taire, on ne veut surtout pas vous réveiller, on ne veut pas vous déranger, on veut surtout ne pas être vu.

 

Votre voiture, la mairie, l’école. Un triangle équilatéral de 70 pas que les mamans inquiètes franchissent chaque année. Cela fait un peu bourgeois, cela fait un peu snob, cela veut faire social, mais c’est surtout inquiet.

 

– Il y a un homme qui dort dans sa voiture, sur le parking. (On ne parle pas de l’école, on ne parle pas des enfants). Le pauvre, il fait si froid, et en plus il neige! Il serait mieux au chaud non? (Dans un foyer, dans un autre endroit, ailleurs. Pas sur notre parking, pas dans notre ville…).

 

Les employés de la mairie ont l’habitude.

 

Cela fait trois ans qu’il vient ici en hiver. On ne sait pas comment il s’appelle, il donne des fausses identités. Le Samu Social est venu mais il ne veut pas en entendre parler.

Oh, je vois…

Il est gentil vous savez, et il travaille.

 

C’est vrai. Tous les soirs, votre voiture s’en va. A la même heure, avec constance. Elle revient le lendemain, cette vieille voiture verte foncée dans le genre des R19 dans lesquelles on a fait ses premiers créneaux.

 

Tous les matins, vous dormez, le visage penché sur votre poitrine, vos mains calleuses croisées sur vos genoux. Il gèle, il neige, vous êtes là les yeux fermés, isolé des enfants et des parents à l’heure pour l’école.

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Vous n’étiez pas là ce 25 décembre. Nous vous avons cherché. Un peu mal à l’aise, ne voulant pas vous déranger tout ayant mal au coeur à l’idée de vous savoir seul dans votre voiture.

Vous n’étiez pas là. Nous vous avons souhaité une place au chaud quelque part et nous sommes reparti, coupables d’être soulagés par votre absence.