La nuit calme et paisible
Gémit sous mes pas.
Le paysage tranquille
Reste, immobile.
Ce soir tout est possible,
Je n'oublie pas.
(le visuel vient d'ici)
La nuit calme et paisible
Gémit sous mes pas.
Le paysage tranquille
Reste, immobile.
Ce soir tout est possible,
Je n'oublie pas.
(le visuel vient d'ici)
Votre mère n'a plus voulu de vous. Elle vous a laissé à l'assistance publique, vos frères et vous, elle a signifié qu'elle ne souhaitait plus s'occuper de vous et elle est partie. Vous ne la reverrez que 35 ans plus tard, pour lui signifier à votre tour que vous ne vous occuperiez pas d'elle, que vous paieriez pas son hospice. Oeil pour oeil…
La société utilise des mots feutrés, des mots détournés qui ne veulent rien dire. Elle dit que votre mère vous a confié à la DASS, elle parle de "remise volontaire en vue d'admission comme pupille de l'Etat". Confier, cela n'a aucun sens. Son acte se détournait de vous, son acte vous laissait seule, dans le sentiment d'indignité, marquée à jamais d'un sceau invisible et honteux criant que vous n'étiez pas digne d'être aimée. Votre mère ne vous a confié à personne. Votre mère vous a abandonnée pour un ultime amant, elle a disparu en gardant l'autorité parentale et en vous rendant inadoptable. Vous aviez encore, après tout, une grand-mère.
De votre enfance, vous gardez le goût du pain mou, la couleur gris sale et une claustrophobie liée à une panique qui empêchera souvent l'air de remplir vos poumons. Une sensation de flou, aussi : vous aviez besoin de lunettes, besoin décelé très tard et qui reculera l'âge auquel vous apprendrez à lire.
Les semaines passent, votre grand-mère, vous rend fidèlement visite tous les samedis. Elle essaie d'adoucir votre sort avec quelques biscuits et avec ses mots d'amour. Elle ne peut guère plus, la mère de votre maman dont les larmes ont tari. Lorsqu'enfin elle obtient le droit de vous recevoir le week-end, elle vous laisse sa chambre et dort avec vos frères dans le salon. Elle se prive de repas en semaine pour pouvoir vous nourrir correctement. Pendant deux ans, elle continue à travailler vaillamment à l'usine tout en blanchissant et en maigrissant. Vingt-quatre mois avant que les mots parviennent à sortir de votre bouche, vous avez grandi, et que vous demandiez de l'argent à l'assistance publique, avant qu'elle n'obtienne une forme de pension. Cet argent lui permettra de vous aimer et de vous nourrir sans se priver, de son côté, des produits dits de première nécessité.
L'essentiel, elle vous le donne. Elle vous entoure de ses bras, de sa chaleur et de son amour, elle essaie d'effacer la blessure maternelle qui brûle votre coeur et vos yeux brillants. Elle vous berce, caresse votre visage de ses mains usées, elle veille sur votre sommeil et votre âme.
Elle pose ses yeux sur vous, "Mémé", elle pose ses yeux sur ses quatre petits-enfants aux pères inconnus et aux teintes de peaux si différentes. Elle-même rayonne d'un métissage affirmé et assumé. Elle a grandi dans la haine de termes comme "métisse", "quarteron" – un quart de quoi? trois quart de quoi? Elle se sent 100% humaine et vivante. Une fois adulte, elle arrêtera de lisser ses cheveux, elle arrête d'essayer de ressembler à quelqu'un d'autre.
Plus tard, une fois qu'elle sera morte, une fois que vous aurez vos propres enfants, cinq, du même père avec lequel ils grandissent, vous comprendrez à quel point elle vous a permis de vous construire dans la vie, d'être actrice, de vivre debout. Votre mère n'est que cela, une mère, une génitrice. C'est à votre grand-mère que vous penserez les soirs de forte fièvre, lorsque vous épongerez le front brûlant de vos enfants, puis de vos petits-enfants. Ce sont ses gestes que vous reproduirez, ses chansons que vous chanterez. En vous regardant dans le miroir, vous qui avez la peau si claire par rapport à la sienne, vous voyez, comprenez, vous sentez l'amour qu'elle vous a transmis, et vous souriez.
Tu ne sais pas pourquoi tu es partie. D’où t’es venue cette certitude qu’ici tu allais t’éteindre à petit feu et ton salut passait par une vie ailleurs. Tu es partie sans prévenir. Les tiens, les autres, ton job, ton appartement. Ta vie. Tu es partie dans une grande inspiration, très vite et sans réfléchir.
Il ne fallait surtout pas réfléchir.
L’évidence est si forte, elle t’atteint en en plein visage au réveil, comme une giffle froide. Ton coeur s’emballe un court instant et tes mains se crispent sur vos draps blancs, l’esprit paralysé sur la vision de ton départ, sur cette certitude si fermement ancrée en toi. Tu attends quelques secondes, tu regardes en face cet instant où tu n’es pas encore partie puis tu te lèves, ton corps ici et ton esprit là-bas. Tu prends une douche rapide, relevant tes cheveux longs dans un chignon à la diable, tu déambules nue dans ton appartement, tes pieds fin frôlant le parquet brillant, tes longues mains choisissant les quelques vêtements et objets que tu ne laisseras pas derrière toi. Choisissant enfin une petite robe légère et des sandalettes. Les papiers, les clés de la voiture.
Tu as mis des années à prendre ce départ. Même si tu laisses quelqu’un derrière, le reste sera plus facile : il suffit de respirer, il suffit de vivre, de tendre ton visage au vent en fermant les yeux, de tendre tes bras et de valser les pieds dans le sable humide.
Là-bas, plus loin, existe un port tranquille niché entre rochers et falaises, bordé d’une plage au sable granuleux et presque rose grâce aux coquillages amenés par la marée. Il a gardé ton enfance et tes rêves, il a regardé ton corps grandir, maigrir, guérir.
Tu sais pourquoi tu es restée.
Si longtemps. Pourquoi tu as continué à vivre comme si de rien n’était. A te regarder du dehors, de l’autre côté de la vitre. Tu t’es obstinée à te regarder évoluer sur scène, portant masque, costume et maquillage. Jouant le jeu, voguant dans l’absence de désir, voguant sans direction et en te retrouvant toujours au même point, au même jalon de ta vie que tu ne parvenais à dépasser.
Parfois la vie nous rattrape, et que faire alors? Ton âme se mourrait et qu’il n’y avait de salut qu’ailleurs. C’est un peu grandiose comme phrase, ça ressemble à ce que tu aurais écrit à seize ans dans ton journal.
Pourtant…
Tu conduis dans le silence, écoutant la pluie battre les vitres de ta voiture. Tu conduis dans la pluie vers des côtes ennuagées et ton esprit se souvient d’un chant nostalgique parlant d’une terre aride et brûlée par le vent mais surtout inondée d’espoir et de lumière. Un jour tu iras là-bas et tu poseras tes mains sur le sol craquelé. Tu sentiras la chaleur, tu regarderas en face le regard blessé des habitants dont on a volé le passé. Ces ombres fièrement campées qui survivent en luttant, les coudes serrés et le sourire au lèvre.
En attendant tu continues à t’éloigner de ta vie. Personne ne sait où tu vas. Tu ne seras pas difficile à trouver pour les intimes. Les arbres défilent et tu commences à formuler de timides futurs. Tes besoins sont modestes, il te faudra un emploi, à temps partiel cela suffira peut-être, et une chambre quelque part.
C’est un début, un départ. Un endroit pour te reconstruire, pour te retrouver, pour respirer enfin.
You’re looking at a blank page. On your screen, the cursor’s blinking unrelentlessly, and the words won’t come. Like your life, the cursor is at a standstill.
A blank page, a blank slate, God knows you need one…
They hurt, the words that refuse to come to the light, the story in your head which won’t exist. The words of you and the pain you have in your heart and in your mind. The sentences which you are required to give birth to by pen, and then by voice.
« Pfff… », you utter, « bloody twelve steps… »
Life was nothing but kind to you. It is you that turned your back on it.
Because there is nothing that has happened to you that you haven’t brought onto yourself, because everything that your life is today is and was a direct result of your own and sole choices. You decided to turn right instead of left*, you decided to ignore the signs. You decided, too, to run straight ahead when you should have stopped and sat and thought.
Because when it was time to choose, you never went for the harder choice, did you, but for the easiest. Instead of looking ahead, you looked at right now. Instead of accepting hardship, you looked for comfort and oblivion. And now, now that you’re sober and that you’re standing on the fuming ashes of what your life once was, you know that you have nothing to blame, and no one else but you.
If only you could have a drink, writing would be a lot easier…
That’s exactly the point, isn’t it…
I see you sitting on a stool in front of my computer. I see your childish and stubborn eyes grow from light grey to black. It is something that you have to do, it is something that you can do, but that you won’t. These words, if they exist… then everything becomes true, your last hiding place will dissolve in ink, the salt you brought in our lives, the tears of rage and desperation, the tears of fright and worry we shed on your behalf will turn into a dark rain of words and ink.
I could help you I guess. I could come out of the hallway into the light and sit on the empty stool next to yours. I could offer you tea and a chat and my presence. But like you, I’m at a standstill. I cannot move forward, and it is too painful to look back. It is too painful, the damage on your children, the rift I feel today between you and me. Your husband only lets you see your daughters in my home, in the safe presence of my husband and I. As I see you struggling and fighting against a blank screen, I see you disrupting our mother’s funeral, I see you forgetting your children in a train station, I see you rolling out of a taxi cab comatose and beaten up.
I see you and I don’t understand. We were raised right, as the saying goes. We were raised the same. In joyful grey, our parents didn’t have much, but everything they had they gave it to us. I don’t understand how for you this could not be enough… I don’t understand but I know that I will have to. Because in spite of everything, you are still my sister.
Because in spite of everything, I see that you are struggling, which means that you are trying. You’re doing the steps, you’re trying your damnedest to get your life back to something close to order. Because I see the immense love and sadness in your eyes when you hold your girls.
Maybe it’s not so hard after all, maybe I can take a small step towards you. I am still standing in my hallway and the light is still scarce. But my voice somehow finds its way towards you.
« You should start with our cat », I hear myself say « God knows that piece of meat was mean and ugly ».
You’re startled and you look up. This look, your eyes, I could cry. You manage a thin smile as you say : « Boy did we hate that cat! That’s a good start, thanks. »
* sorry, private joke :)
Ca va mieux après un verre de vin.
Tu es arrivé les mains tremblantes et l’oeil fatigué. Tant de temps sans nouvelles de toi, puis ces petits pas l’un vers l’autre. Un signe discret sur facebook, twitter, quelques commentaires suivis de tchat, puis ton appel téléphonique si triste de la semaine dernière.
Dix-sept ans sans se voir, forcément nous avions changé. Dix-sept ans, parce que…
Silence. Nous nous regardons avec un sourire dont nous parvenons presque à taire la tristesse d’aujourd’hui. Un sourire complice et franc, avec cependant quelques zones d’ombres et de regrets.
Malgré les circonstances, cela fait du bien de te revoir.
Les bras posés sur la table, je garde mes mains croisées près de moi, je ne franchis pas la ligne invisible, celle qui partage cet espace en deux parties parfaitement égales. Je reste de mon côté, « sur mon territoire ». En face de moi, un thé fumant. Je n’ai pas soif mais je prends parfois la tasse dans mes mains pour me donner une contenance. En face de toi, un premier verre de vin que tu vides d’un trait. Tu soupires et là, enfin, tu décroises tes mains, tes épaules tombent et tu m’apparais moins nerveux, moins tendu. Je t’en verse un second auquel tu tardes à toucher. Tu y plonge tes yeux soucieux, tu passes machinalement ton doigt sur le bord du verre. A partir de ce soir, le chef de famille, c’est toi.
Je te regarde. Ton front est barré de rides, tes cheveux ont discrètement éclairci. Ton visage est moins fin, et sous tes yeux, des cernes se sont incrustés de façon indélébile là où auparavant il n’y avait qu’une insouciance frôlant l’arrogance.
Je vois encore en toi le voisin de palier avec qui je faisais la course dans les escaliers. Ta mère avait estimé que j’étais assez bien éduquée pour te fréquenter, et j’étais formellement invitée à goûter avec toi le mercredi après notre cours de solfège. Le matin, tu forçais tes doigts sur un piano tandis que j’écorchais mon violon. Nos écarts et fausses notes vibraient les uns vers les autres et nous nous amusions parfois à nous répondre. Nous nous étions retrouvés dans le même cours de solfège, ce qui avait bien arrangé nos mères. Pendant plusieurs années, la mienne nous a emmenés tandis que la tienne faisait le trajet inverse. L’entrée de l’immeuble en brique rouge bordant le périphérique avait un sol en carrelage à l’ancienne. Nous ne faisions pas attention aux dessins sur le sol, seule nous importait la ligne blanche à un mètre de l’escalier. Tout à coup, d’un même élan, nous nous lancions en avant. Nos jambes volaient de marche en marche, nos souliers frappant le bois ciré avec force et bruit. Nous nous accrochions à la rampe, aux barreaux, nous nous accrochions l’un à l’autre, le dernier tentant de freiner le premier, celui de devant essayant de repousser celui de derrière… D’en bas, ta mère haussait un tout petit peu la voix.
– Les enfants, voyons…
Une fois arrivés au quatrième étage, et l’issue de notre course arbitrée – qui avait mis la mains avant le pied de qui, quel pan de manteau avait devancé celui de l’autre – nous l’attendions sagement, assis sur la marche du haut.
Nos parents sont encore voisins. Par le hasard de la vie, par un hasard savamment calculé peut-être aussi, nous sommes parvenus à rendre visite chacun aux nôtres sans jamais nous croiser. Nous n’avons jamais demandé de nouvelles l’un de l’autre. Nous ne voulions pas savoir. Les jobs, les mariages, les enfants. Les trois ans passés aux Etats-Unis pour toi et au Japon pour moi.
Pourtant, à chaque fois que j’y retourne, la porte de Champerret me ramène à notre enfance, Le Saint-Cyr me parle encore de toi, des heures que nous y avons passés, des rêves que nous y inventions comme des boutades à la vie.
Nous avons grandi accroché l’un à l’autre jusqu’à nos 23 ans.
Et là, quoi? Une dispute, un désaccord, un de ceux dont on ne se remet pas à cet âge quand on est orgueilleux et susceptible. Les deux âmes fières que nous étions sont parties chacune de leur côté sans se retourner. Nous avons laissé tomber un voile sur ce qui aurait pu être et avons construit nos vies dans une absence et un oubli forcé et mutuel. Je crois que nous avons quand même été heureux, finalement, l’un sans l’autre.
La semaine dernière, tu m’as appelée pour m’annoncer le décès de ton père. Dix-sept ans se sont envolés d’un coup. Ce soir, après les funérailles, nous nous retrouvons tous les deux seuls dans la cuisine de ma mère, tandis qu’à côté, chez la tienne, amis et voisins veillent sur elle et l’accompagnent encore un peu dans cette journée exténuante.
Je soupire, je ferme les yeux. Moi aussi je suis fatiguée. Demain tu géreras la suite. Il y a un testament, un rendez-vous chez le notaire, des tensions naissantes à appaiser entre les tiens… Demain nos vies reprendrons, mais pour l’instant nous sommes ce soir, l’un en face de l’autre, avec des mots entre nous que nous n’avons jamais prononcés. Ils sont palpables, il suffirait d’un rien pour leur donner naissance et soulager les blessures que nous nous sommes infligés il y a trop longtemps. Tu te lèves lestement, tu sais encore où sont les verres, et tu me sers.
– Ca ira mieux après un verre de vin.
You're not looking for comfort but for numbness.
You're sitting in your car, it is cold outside and raining, the engine is shut down but you won't get out. You watched your child struggle with asthma for the whole night, you just lost your job for a younger hungrier woman, your husband moved out after months of endless violent rows, your cancer's back, it is invisible as you won't loose your hair. You are 30, you are 35, you are 40 and you are 45, you are at a crossroad in your life and you realise you don't know where it is leading you, where you are leading yourself.
Are the choices you made the rights ones, should you turn right, or left, or keep going (for there is no going back), why is your future ahead of you so clogged and fogged up, do you have a future.
Your car is parked on the street right before yours, your car is parked in front of the supermarket, your car is on the side of a country road, you drove so far you don't know where you are, you kept going until you ran out of gas, until you ran into a ditch. It is not moving, you are not moving, you stay there and you wait until it is all-right to step outside.
First you listened to the radio, the first times, the first years. The first bends on the road you didn't quite know how to handle. You sat in your car with the radio on, you arrived home and parked in the driveway and stayed there until a random neighbour walked by and shot you a strange stare. As the years went by, as the bends got more violent, you turned the sound up more and more and you parked further away from home, until this one day when you turned it off, the sound, and let the hard violent tapping from the rain reach your ears. The reminder that there is a world outside, that it may not be waiting for you but that you are nevertheless a part of it.
It is something you do when it is cold and raining, these are your five minutes of nothingness that keep you going. When it is warm and sunny, when your life is good and cheerful and filled with hope and laughter, you don't need your car, you walk places, you take the bus or the train. You co-exist with others.
Nowadays it is getting harder to stay inside, your hands grow colder than they used to and it hurts, but you have nowhere else to go, nowhere that will offer you oblivion from your inner demons and life's cruel surprises. You don't drink, you used to smoke but quite years ago, you never did drugs and you don't like sugar.
You have this one thing that keeps you sane, this one habit of yours of staying in your car and do nothing. You wait. You wait until something clicks within you and you know that you can keep on going, that you can get out of your vehicle and back into your life. Some people would call you crazy, most of them wouldn't understand, and if you used to care now you don't. You know what is good for you and what isn't, you know the difference between what you should do and what you want to do.
There will be other rainy days, there will be others days inside you car, your hands clenched and your face devoid of tears or feeling or thoughts. How many, you don't know, what is important is that you do get out, that you do start your engine. You're not looking for comfort but for numbness, and you find strength. Hello life, I'm back. Let's go.
She doesn't want to be here. On these rocks. Sitting still and letting the harsh wind slap her face. Tasting the salt on her lips, from her tears, or the sea, she doesn't know, it doesn't matter.
She doesn't care.
Her face betrays nothing. Never. She's there and she smiles and she lets her dry laugh out, people are around and yet they see nothing, she's there and she hurts, inside, somewhere, it's gotta hurt. but she can't feel a thing. Her mind hurts. Her body doesn't, and somehow that's unsettling. She doesn't like pain, who does really, but if only she could feel this sharp unbearable pain on her body, if she could localise where she needs repair, then she would feel sane. It's all in her mind, it's all a virtual game that she played and lost.
She's there. She watches the deep blue see grow dark under the dying sun. Soon there will be the night and the moon and the stars, and she will be at home. She IS at home here, on these rocks watching over the sea. They've been here forever, they watched the sea as they watched her grow while she came years after years, while she grew up climbing them, collecting the animals and insects that elected to live upon them.
She comes back here and she's 5, she's 15, she's 25, she's 50 and she's 65. She was just born and she'll die soon. She never comes when she's happy. When she's happy, she's chasing butterflies, she's in love. She's getting married, she's a mother, a grand-mother, she's alive and in life. When she's happy the rocks exist in a part of her mind, she knows they are there and that suffices. It is when life is cruel to her, when life is unfair, when things are too hard to cope with that she comes. She comes and she used to cry, to shout, to scream. Alone, in the wind and lost in the sky as it joigned the sea.
Nowadays she just sits. For hours. She doesn't move, because maybe, maybe if she sits still, maybe if she's quiet enough, she's disappear into the rocks, she'll become a cold silent thing watching over the sea. Watching over the time.
Of course, there comes always the moment when she has to go home. She gets up and stretches, it's becoming harder over the years, her body doesn't cope with cold granite as well as it used to. With very slow and cautious steps, she walks the path in the ferns and ramble leading to the concrete road, and takes her time going back home. She will be back tomorrow, with her sadness and her life gone by. She will be back, hoping that it will be the last day that she has to, that life will finally choose between granting her happiness or complete peace.
They've witnessed countless tempests, these rocks. They've been hit by constant waves since the beginning of time, letting the water shape them slowly, letting it take away and change their roughness into smooth round surfaces.
She sits there in the harsh wind and the falling night, she tastes the salt on her lips, but it is allright as it is not hers. Her own tears have dried up long ago, she can't remember the last time she cried. Even her laugh is dry nowadays as it shoots out like a bullet. She doesn't feel that old even if her face and body say otherwise.
It is alright this salt from the sea, the dark moving water. This place is left alone by the common tourists, you have to live here to know where it is. First there is a road, then a small path between ferns and brambles. You cannot bathe here, and you cannot come by boat. It is a place for contemplation and rock climbing.
She used to come here even when she was little. These are her rocks. She knows all of them, she climbed and played and watched spiders crawl for hours.
Nowadays she sits.
There was a time when she stopped coming. She lived away and she came less and less to the village, and there was never enough time. Her children prefered regular beaches with sand and shells, and she didn't want to fight yet on another subject. So she gave in. Her children grew up, moved away… and she moved back here. Her house is modest, but welcoming and warm. An every day she comes here, after her work is done, she sit in silence and watches the sea. She works with numbers, she sorts out taxes and VAT for small companies and can do most of it online.
She watches the sea, the sky, and listens to the waves crashing on the rocks. Her face tells nothing, she doesn't move, but she's focused on the waves and the noise. She looks peaceful, and yet, these waves, they are like her mind shouting her anger and frustrations after years of saying nothing. Her fists are never clenched (but her teeth are), to most friends and neighbours, she is a placid and almost boring woman.
They simply don't know, do they…
A long as she can come back to these rocks she will be allright. One day, she might simply lay there, and close her eyes, and wait. And maybe the noise will stop, maybe everything will stop. And things will be allright, still.
Paul Vignaut fut l'un des premiers à emménager rue des Tilleuls, il y a trente ans de cela. La résidence était à peine terminée, les haies de lauriers ne faisaient que 50 cm de haut et ne suffisaient donc pas encore à cloisonner les voisins.
Paul Vignaut n'est pas très beau. Il n'est ni grand ni musclé, il a des cheveux noirs frissonnants et une calvitie naissante, mais ce n'est pas ce que ses voisins retiennent. L'ancien de la rue, le vétéran qui se souvient des débuts de la résidence entière est foncièrement gentil. Adorable. Dommage qu'il soit seul depuis dix ans. C'est triste…
Sa femme lui manque. Tout, ses rires et ses peines, ses manies, les petits mots qu'elle lui laissait dans ses poches, dans son portefeuille, dans son attaché-case. Des petits-mots griffonnés à la hâte avec amour, sur un reçu, un bout d'enveloppe, un post-it au dos duquel elle avait écrit la liste de course ou l'horaire d'un rendez-vous.
Elle appelait ça un recyclage d'amour. Il en a une boîte pleine dans son garage, remplie de morceaux de papiers blancs, rouges, orange, verts, des morceaux d'amour de toutes les couleurs. Elle y faisait des dessins, racontait des histoires, ou écrivait simplement "tu es mon monde, mon univers", "ma vie avec toi est un rayon de soleil", "je t'aime"… Il lui répondait avec des noeuds, des noeuds compliqués et alambiqués, des noeuds d'amour en ficelle, en bolduc, en lacets de chaussures. Des noeuds qui voulaient dire "je suis lié à toi", "contrairement à ce noeud notre vie est simple" ou "j'ai l'estomac noué en te voyant, tu es magnifique, je t'aime". Lui aussi les laissait dans son sac à main, dans ses chaussures, dans le pot à sucre. Ils se faisaient des surprises, ils continuaient à réinventer leurs sentiments et leur émerveillement commun.
Il ne compte plus le nombre de machines pailletées de confettis mouillés d'amour, car lui comme elle oubliait systématiquement de faire les poches de leurs vêtements avant de les laver. Aujourd'hui encore, sa maison compte quelques cachettes où il se surprend à moitié à trouver un ultime message de sa femme. Il les laisse à leur place. Il n'ose les déranger, les ranger dans sa boîte débordant de cet amour, dans cet espace en carton contenant toute l'absence de l'être aimé.
Paul Vignaut est veuf. Comme il déteste ce mot. Veuf, ça ressemble à neuf, et lui confine aujourd'hui sa vie à des choses passées. A trente ans de vie commune, dont vingt ici, rue des Tilleuls. Trente ans de bonheurs simples et vrais et de ne rien vouloir d'autre que continuer à avancer. Ils ont eu parfois faim, ils ont eu des joies et des douleurs, celle de ne pas avoir d'enfants entre autre, mais toujours ils ont partagé cet émerveillement, cette joie, ce sourire miroir qui leur venait l'un de l'autre.
Il regarde en arrière, sur sa vie, son chemin, et il ne voit que la lumière d'avoir vécu avec elle. Cette lumière qui s'arrête sur un soir hideux, un soir pluvieux où il a trop attendu le retour de sa femme. Quelqu'un a fini par l'appeler, quelqu'un à la voix embarrassée et trop vague au téléphone. "Prenez un taxi Monsieur ça vaut mieux". A l'hôpital, la lumière était trop forte pour ses yeux, les murs étaient trop blancs, tout était aveuglant, stérile, froid. Il a identifié, il a signé, il a écouté. Il est allé au tribunal, il a vu l'homme qui n'aurait pas dû boire ce dernier verre, ou bien qui n'aurait pas dû prendre le volant, il ne sait pas, mais c'est un homme qui n'aurait pas dû.
"Je suis désolé monsieur, je suis tellement désolé". L'homme est reparti menotté en prison. L'homme a payé sa dette à la société, mais la société n'a pas rendu sa femme à Paul Vignaut.
Dix ans ont passé et Paul Vignaut parsème toujours sa vie des derniers mots doux de sa femme. La semaine dernière, il en a trouvé un nouveau, dans une vieille valise parquée dans les combles. Une valise qu'il n'avait pas ouvert depuis dix ans. La valise qu'elle avait préparée pour leurs vacances communes en Corse… ("nous partons ensemble pour une aventure ensoleilée, chaque instant passé avec toi est une joie, je t'aime", un dessin d'une montagne donnant sur la mer avec un gros soleil, un papillon, un poisson et des coeurs).
Dix ans ont passé et Paul Vignaut, parfois, se dit qu'il a encore de belles années devant lui. Personne ne pourra remplacer sa femme, personne ne pourra se comparer à elle. Mais, lorsque Adèle Vaugnard vient promener son chien, il se surprend à regarder ses hanches. Adèle est une femme plutôt maigre et anguleuse, mais elle a des hanches… pleines de promesses… Il aimerait pouvoir s'y agripper, c'est un élan qu'il a en la voyant et dont il ignore l'origine. Il ne sait pas si elle a remarqué son regard sur elle, en tout cas elle n'en a rien laissé paraître.
Qu'il fait chaud aujourd'hui… Le plâtre de Paul Vignaut est tombé, heureusement, mais sa cheville le démange quand même sous les bandages. Cette chaleur pesante qui est tombée sur la France pénètre les murs pourtant épais de sa maison Elle ne le sait pas, mais cette même Adèle Vaugnard qui promène son chien est responsable de sa mauvaise entorse. Il sortait de la pharmacie avec quelques boîtes de médicaments "pour les gens de son âge" lorsqu'il l'a vue, sur le trottoir d'en face. Elle ne faisait rien de particulier, elle choisissait des fleurs orangées et énormes. Il a reçu cette vision d'un coup, les hanches d'Adèle Vaugnard, les grandes fleurs aux couleurs des post-it de sa femme, il a oublié où il était, il a raté une marche et est tombé à la renverse.
Maintenant il la voit tous les jours, c'est presque une compensation pour la douleur qui lance sa jambe, et pour l'inconfort supplémentaire lié à la chaleur. Il se sent assommé, son chien lui-même s'étale sur le carrelage pour avoir le plus de fraîcheur possible.
Adèle Vaugnard ne sera jamais sa femme, rien ne remplacera les mots d'amours recyclés et les noeuds dont ils ont ponctué leur vie. Mais Adèle est une femme encore pleine de promesse, comme ses hanches. Paul Vignaut s'évente et rêve un peu.
La sonnette résonne à travers les pièces. C'est un bruit de harpe harmonieux et un peu trop féminin à son goût. Paul Vignaut clopine doucement en se tenant aux meubles de ses mains moites, et ouvre la porte. Adèle Vaugnard se tient farouchement devant l'entrée, les cheveux perlés d'humidité et en désordre, les mains souillées de terre. Sa robe bleue colle à son corps en sueur et en devient joliment moulante…
"Quelle bonne surprise… mais entrez-donc Adèle"
(…)