Par la fenêtre, elle touche le vent. La rue vide résonne de silence, de lumière. Pieds et fesses sur son assise, les bras autour des genoux, la tête penchée vers le haut et reposant contre la vitre de sa fenêtre ouverte.
Il faut chercher en étirant les yeux, un coin de ciel bleu vers lequel se perdre.
Il est six heure du matin, le monde immobile dort encore. En bas les trottoirs abandonnés, les fenêtres des immeubles désespérément désertées. L’humanité terrée… Chaque bruit rassure et étonne, interroge et met en alerte. Seuls, les uns entassés sur les autres à une distance nécessaire des autres.
En opposition à son corps enfermé dans ses maigres mètres carrés, son esprit se libère et s’évade.
L’odeur de l’herbe juste coupée, sa fraicheur un peu piquante sous les pieds. Les reflets sur l’eau et les péniches du canal admirées lors des ballades dominicales. L’odeurs des gaufres sucrées disponibles au coin de la rue… les conversations simples et spontanées dans l’ascenseur. Il faut se souvenir, faire l’exercice mental d’une normalité temporairement oubliée.
Elle se raccroche au bleu au-dessus d’elle et inspire… tant que tu respires, que tes poumons se gonflent et s’enivrent, que tu ne tousses pas et que les migraines restent invisibles et les allergies au loin, tant que les symptômes s’effacent, goût, odorat, alors tout va bien, je vais bien, on va tous s’en sortir, mentalement je rembobine, la dernière poignée de porte touchée, les boutons dans l’ascenseur, les lavages de mains et les désinfections au gel hydromachin, ai-je salué mon voisin d’assez loin… il faut décompter ses malades dont les noms s’empilent et encombrent son téléphone, valider le nombre de jours entre nous, la période d’incubation c’est combien déjà, la maladie dans la solitude, ça se gère comment?
Sur les réseaux il y a ceux qui s’affolent, ceux dont les memes prennent tout l’espace et ceux qui ne répondent plus, dont on ne sait s’ils restent pudiquement dans l’ombre ou si leur voix plus jamais ne s’élèveront. Son téléphone reste son dernier lien social, il la relie au monde comme un cordon ombilical oscillant entre réconfort et névrose, rompant la nuit, épuisant le jour, il faudrait le poser peut-être, retrouver l’instant et oser accepter l’attente.
Il faut gérer ses placards, « rationaliser les ressources » pour « optimiser ses sorties ». Entre courses virtuelles ou IRL l’obsession est la même, le risque de contamination par la boite de lentille devient une menace omniprésente, le contact avec l’autre est passé de convivial à dangereux, je reste loin de toi, tu restes loin de moi, la distance de toi vers moi, de moi vers toi, le risque qu’on s’entre-contamine, ne me croise pas et ne me touche pas.
Elle s’imprègne de bleu, par la fenêtre elle touche le vent. Paisiblement, elle ferme les yeux, s’apaise et respire.
