
Mots
21 janvier 2012La dernière fois que Gabrielle avait touché à ce document, c’était un jeudi 13, déjà il faisait doux pour la saison alors qu’octobre l’insolent contredisait les dictons.
Le soleil s’immisçait par la vitre jusqu’à la somnolence, la bourse continuait à chuter dans le stress quasi résigné des salles de marché. Le téléphone avait arrêté de sonner. Gabrielle se souvient qu’elle avait ressortit un petit T-Shirt d’été et qu’elle regrettait presque ses nu-pieds. La France s’accrochait encore à son triple A et elle avait du mal à s’intéresser aux chuchotements feutrés des couloirs en attente d’un meilleur taux, d’un climat économique plus clément, de prévisions d’éclaircies.
Gabrielle, elle, sentait la chaleur du dehors réchauffer ses mains et chatouiller son inspiration.
Gabrielle, elle, rêvait tant d’être ailleurs qu’elle n’avait cure des convenances. Elle était inoccupée, désœuvrée, payée à faire joli derrière un bureau. Elle avait sortit sa clé USB et avait travaillé.
Pour elle.
Son univers s’était ouvert et le reste s’était tu, se transformant en grisaille aussi inconséquente qu’invisible. Sur ses oreilles, du PJ Harvey ou du Chopin, elle ne sait plus, à moins que cela n’ait été du U2 (il y a toujours du U2 dans son iPod et il n’y a jamais assez de rock français car elle n’y connaît rien).
Les lignes étaient là depuis si longtemps, elle ne savait qui de son impatience ou de sa fierté gagnait, impatience d’aligner des mots depuis si longtemps, si lentement et de façon aussi sporadique ; fierté du résultat, une fierté au bord de la nausée, à force lire et relire, de déstructurer pour mieux retricoter elle ne supportait plus sa propre prose, elle rejetait la tristesse qu’elle avait effacé de son âme au fil de l’encre coulée. Derrière ce livre il y en a un autre plus gai, plus percutant. Derrière ce livre des étages de chapitres et des gens qui existent déjà, une histoire pétillante de gammes et d’entrechats.
Mais d’abords, avant, il y a celui-ci.
Gabrielle doit apprendre à finir.
Elle avait bien avancé ce jeudi13 alors que la France était paralysée et que son patron était enfermé dans son bureau. Les mots d’alors lui échappent, mais elle voit encore la longueur des phrases sur l’écran.
Ce furent les dernières. Gabrielle ne sait pas, ne comprend pas, toutes ces années aux carnets rempli
d’une écriture fine et serrée, ces instants incessants où des mots ont structurés des phrases formant des textes et des histoires entières dans sa tête, chaque moment vécu lui fut inscrit sur une portion à vif de son âme et il n’y eu guère que le sommeil et l’orgasme pour lui offrir la paix.
Trois mois plus tard, Gabrielle est chez elle et regarde la date. Trois mois sans écrire (trois mois sans écrire rien qui vaille), quatre-vingt douze jours à fuir le temps et les jours, à suivre le cours de sa vie en fermant les yeux, sans regarder sa montre, à attendre, immobile, que le temps passe. Trois mois à être un fantôme qui marche, jusqu’au réveil, rien n’a changé et pourtant elle s’assoit, se pose, sa fuite s’immobilise et ses doigts s’agitent.
Rien n’a changé, mais pourtant, ce soir, Gabrielle écrit.
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