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Blanc

29 novembre 2010
Blanc

Mes souvenirs de toi sont en noir et blanc. Tu es assise dans l'encadrement d'une porte-fenêtre, les pieds joints contre tes fesses et les bras encadrant tes genoux sur laquelle tu as posé ta tête. Le dos calé contre le bois banc tu restes ainsi, patiente, tandis que ta mère et tes soeurs sortent, déplient, époussettent ta robe et ton voile immaculés.

Tu es bronzée de deux mois dans les Landes, tes cheveux sombres sont noués à la diable dans ton dos et tes yeux (verts) rient de toute cette agitation. Tu ne bouges pas, tu les laisses faire. Tu sais que ce n'est pas ton jour mais le leur. 

Toi, ton bonheur est ailleurs, dans un regard noisette dans lequel se sont perdues des paillettes dorées. Vous n'aviez pas besoin de ces symboles, vos règles étaient clairement établies, c'est fou ce que vous pouviez déjà vous parler à l'époque. Nous regardions nos couples silencieux puis reportions nos yeux sur vous sans comprendre l'origine de ce flux de mots. Nous savions qu'à la fin du jour vous partageriez chaque détail insignifiant du temps passé hors de la présence de l'autre, et nous trouvions cela étrange, infantile, et même un peu ridicule (nous n'avions rien compris).

Cela te rendait un peu nerveuse, tout ce blanc. Un blanc qui ne voulait rien dire, tu cohabitais avec celui qui allait t'attendre devant la mairie puis l'église depuis deux ans, tu aurais préféré de la couleur, quelque chose de vif et de joyeux et d'intâchable, de la musique basque dans l'église et une réception sous un chapiteau de cirque avec des clowns jongleur et des otaries cracheuses de feu. Tu aurais voulu que cette journée soit comme une valse aux abords langoureusement lents, qui aurait tournée de plus en plus vite en laissant les participants riants et joyeux et essoufflés à en tomber sur une banquette, siffler un verre de champagne et aborder la première jolie dame venue. 

Tu aurais aimé que les invités repartent avec des étincelles dans le coeur, un je-ne-sais-quoi-cadeau-bonux-saupoudré-d'une-pincé-de-fantasque-et-d'audace. 

Mais très vite, tu as lâché. Tu as donné cette journée à ta famille en sachant pertinemment que le reste de votre vie vous appartiendrait.

J'ai d'autres images de toi avec beaucoup de blanc et peu de noir, juste assez pour créer un contraste et faire ressortir la lumière sur tes traits, dans ton sourire et tes gestes. Toi debout au milieu de ta chambre, bras écartés alors que ta mère t'habille, toi le visage tendu vers la fenêtre, yeux fermés et face à ta soeur aînée qui te maquille. Toi dans les escaliers, qui descend avec précaution, toi riant devant la mule que ton futur époux a mis à ta disposition (ton père lui substituera une voiture de collection), toi sortant alors que la voiture roule encore pour arriver plus vite devant la mairie, et claquant presque la porte sur ta robe dont tu as roulé la traîne en boule sous ton bras le temps de courir.

De toutes ces images, de toute cette journée, je n'en garde qu'une. On n'y voit pas ton visage, on ne t'y reconnaîtrait pas – et ton mari non plus. On te devine, agenouillée à côté de ton aimé, blanc sur noir, lumière sur ombre. Je me souviens de vos visages courbés et recueillis. Et ce voile de dentelle partant de tes cheveux et dont on ne voit qu'une parcelle élégamment posée sur ton fauteuil par ta mère (encore). Cette photo prise par un autre est paisible, harmonieuse. Ce que vous nous aviez offert ce jour-là n'était que symbolique, vous nous offriez la possibilité de nous réjouir pour vous et de partager quelques rayons de votre bonheur. Vous étiez comme ce voile, présent et invisible, exposé à nos yeux tout en savourant vos secrets, vos détails, vos mots qui vous accompagnent encore aujourd'hui.

Ces souvenirs de toi…

Crédit photo : Tanguy de Montesson

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