
Des cheveux fins et une bouée en métal
27 novembre 2009Tu es un petit garçon au cheveux fins et blonds et aux yeux indéfinissables. Tu fais grand pour ton âge, on te donne plutôt cinq ou six ans que quatre. Tu es un petit garçon de quatre ans et demi et tu es accroché à une grille. C’est un scénario qui se répète, c’est un scénario habituel, il est 13h25 et le spectacle commence.
De toutes tes forces tu luttes, tu n’es ni dans l’école ni hors de l’école et tu veux rester là, à cet endroit qui n’est rien, les mains et les pieds agrippés aux barreaux pourtant glacés. Tout le monde te regarde et tu ne regardes personnes.
Ta maman aussi te parle sans te regarder, elle parle à ta capuche, elle a le visage fermé et les traits fatigués. « Je m’en vais, je te tourne le dos et je marche loin de toi ». Ta maman parle à ta capuche, les adultes tirent sur ta capuche, toi tu restes figé et tu ne parles à personne. Ta maman s’éloigne et tu continues à t’accrocher, sans bouger, personne ne peut entrer ni sortir sauf quelques enfants plus petits, qui se faufilent comme des anguilles et vont jouer avec leurs camarades. L’année dernière, tu communiquais avec tes poings, cette année, tu as appris que les mots ça pouvait faire mal aussi, mais pas devant les adultes, et hier tu as compris que les ennemis de tes ennemis pouvaient être tes amis et que pour taper une gamine ça pouvait être pratique. « Y en a un qui la tient, et moi je la tape ». Tu coexistes en marge des autres, tu coexistes en marge du monde, dans la souffrance de la violence, dans la violence de la souffrance, dans cette solitude désespérée, accroché à une bouée en fer, comme si ta vie dépendait de ce contact avec ce métal glacé.
Au bout de ma main une autre main plus petite, qui te regarde. Qui te connaît. Qui sait et qui dit « je me laisse tomber par terre, je roule et je m’enfuie, et je cours voir un adulte ».
Je ne peux rien pour toi. Je peux te regarder sans te juger, sans poser de diagnostique, espérant que toutes les aides qui s’offrent à toi, tu sauras les recevoir. Que ta souffrance et ta détresse trouveront leur remède.
Quatre mains saisissent tes épaules et t’aspirent dans la cour de l’école, la grille claque avec nous dehors. « Deux minutes et vous pourrez entrer ». Tu t’agites, toujours en silence, puis finalement tu t’éloignes avec une enseignante, cramponné à une jambe qui remplace les barreaux de ton radeau.
A mon tour je m’en vais. Une fois que la grille est rouverte, que ma main est vide, je repars dans le vent transperçant, un peu chamboulée et sachant que je te reverrai lundi prochain.
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