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Elle peut s’asseoir et réinventer la paix du monde qui s’arrête.

5 septembre 2009

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Longtemps , elle n’a pas écrit. Depuis ce moment terrible à Paris, dans sa chambre. Ce regard de lecteur méprisant, un lecteur si important qui d’un revers des yeux a fait éclaté ses certitudes. 

 

Elle est devenue muette. Après. 

 

Elle se souvient, elle a essayé pourtant. Sa plume est restée sèche. Elle s’est attardée là, sur sa chaise, à nettoyer son stylo ou regarder ses ongles. A surfer sur des sites futiles. 

 

Sans écrire.

 

Comment gratter le papier lorsqu’on n’a plus rien à dire, qu’on se sent si vide et inintéressante.

 

Elle s’ennuie.

 

Les lignes qui refusent d’exister, les carnets s’entassant dans un carton, dans l’obscurité, les yeux qui se ferment sur des mots à peine formés. Il manque toujours un mot, un souffle.

 

Elle se souvient qu’au départ, elle a fuit. Emmitouflée, insensible. C’était vital, de quitter cette capitale où son inconscience et sa naïveté gisaient au cimetière. Elle ne voulait pas se souvenir, alors. Se retourner et se regarder au passé, faire front et assumer sa part d’erreur.

 

Non. Alors elle a attendu. Elle a attendu jusqu’à ce que d’autres souvenirs s’empilent et masquent sa blessure mal fermée qui lançait sa fierté et son talent. (En convalescence, tout ressemble à du coton.)

 

Un jour elle s’est levée et a redécouvert qu’elle vivait. En équilibre fragile, elle a pris son crayon et écrit. Le soir. Une vieille lampe lui venant de sa grand-mère propage quelques rayon jaunes. Le reste n’existe pas, le reste est confiné à l’obscurité et l’oubli, et c’est parce que ce reste a disparu qu’elle peut s’asseoir et réinventer la paix du monde qui s’arrête.

 

Les première minutes sont toujours très lente, maintenant encore. L’oxygène interminable qu’elle savoure enfin. Sa poitrine oppressée réapprend à respirer et s’ouvre. Les yeux fermés, elle écoute l’air apprivoiser ses poumons. Il lui faut refaire connaissance avec le stylo qu’elle avait trouvé sous un meuble au café, ses mains redécouvrent son poids et sa texture, le joie de tenir un objet si modeste et si vital.

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un deux trois, un deux trois…

2 août 2009

Un dîner romantique dans un restaurant bien choisi, quelques regards éloquents échangés au-dessus d’une chandelle. Un cadre, une ambiance, les attentions classiques de la tradition courtoise.

Sur une place cernée d’ampoules colorés qui oscillent dans le vent, la musique s’étire langoureusement alors qu’il l’entraîne dans une valse nonchalante et fluide. Leurs peaux se touchent, leurs doigts frémissent, leurs corps se cherchent, tournant inlassablement, un deux trois, un deux trois ; leurs yeux s’évitent, leurs cœurs s’affolent, contre l’autre, loin de l’autre, doux vertige du décor qui s’efface, des lumières qui se fondent, qui s’oublient, et ils restent main dans la main, main sur la taille, comme deux figurines sur une boîte à musique qui ne s’arrêterait jamais, qui les figerait ainsi pour toujours dans un rythme ternaire immuable, un deux trois, un deux trois.

S’ils avaient à choisir, s’ils étaient encore libres devant l’avenir qui les attend, c’est ce moment qu’ils garderaient, qu’ils graveraient en eux. Oui, si leurs yeux, n’étaient pas tâchés d’encre, si leurs actes n’étaient pas déjà faussés…Si elle s’était affranchie de ses mots pour reconnaître la réalité, et s’il s’était délivré de son poison pour vivre pour lui-même…

Nous portons tous en nous des cicatrices plus ou moins bien refermées. Des plaies qui nous font encore souffrir comme de vieux rhumatismes ou dont le souvenir nous frappe au visage. Un nom, une odeur, un son oublié tant bien que mal. 

Nous portons tous en nous les marques de notre passé, ce sont celles qui nous forgent et racontent parfois notre histoire aux peintres s’attardant sur nos rides, ces reliefs qui enchantent les plaques des photographes. 

Nous portons tous en nous nos fantômes, vestiges d’ivresses intenses ou de moments désespérés. Un rien peut faire basculer le meilleur des souvenirs dans l’horreur, il faut beaucoup de joie et de sérénité pour obtenir l’inverse, pour faire glisser d’anciennes larmes vers une nostalgie douce amère. 

Nous traversons la vie dans une inconscience insouciante, négligeant avec indifférence les conséquences de nos actes. Combien de mots, combien de gestes et d’oublis ont pu faire souffrir ceux qui ont croisé notre route, que nous avons oublié et qui aujourd’hui encore boitent par notre faute 

Mais elle ne sait pas encore cela, elle. Vierge de toutes blessures, elle se laisse entraîner à la griserie de leur valse, ignorant qu’on ne sait jamais les traces qu’on laisse. Lui-même ne sait pas ce qu’il gravera en elle ni ce qu’il gardera de leur rencontre. Et plus tard, de toute cette triste plaisanterie, c’est cet instant qu’elle détestera le plus. Sans doute parce que ce sera le plus beau, le plus pur, celui qu’elle aurait préservé au plus secret de son être. Cette place ressemblant à tant d’autres, le vieil homme à l’accordéon, la danse des lumières autour d’eux, en eux, et cette harmonie parfaite et inoffensive. 

Mais il faut partir. La musique s’est arrêtée et ils se regardent, un peu essoufflés. 

C’est l’heure…

La toile finement tissée ne rencontre aucune résistance, au contraire, la porte e

st grande ouverte, elle est si accessible qu’il l’en mépriserait presque.

C’est vraiment trop facile.


IX.

Arrivés en bas de chez elle ils se taisent mais leurs yeux parlent à leur place. Le digicode, la porte en bois qui grince, les escaliers en spirale. Il est derrière elle, son regard vacille tant il est près du but, si près d’elle, de sa main glissant sur la rampe, du frottement de sa robe contre ses jambes, de sa nuque délicate que ses cheveux relevés dévoilent. De son secret enfermé là-haut, dans son appartement. 

Et s’il ne voulait pas aller jusqu’au bout, s’il voulait simplement vivre cette histoire, après tout il n’a encore rien fait, tout reste possible… S’il n’écoutait que lui et s’il l’enlaçait là, sous l’ampoule presque grillée, sur le palier. Elle est si excitante, si désirable, si parfaite. 

Mais son obsession ressurgit et le frappe brusquement, il doit s’arrêter un moment tant la douleur est forte. Il se débat un dernier instant et l’oxygène lui manque. Il ne peut plus reculer. C’est sa fièvre qui l’a amené jusqu’ici, c’est elle le maître maintenant. Il n’est plus temps de penser ou réfléchir, il fera ce qu’il doit faire. 

Occupée à fouiller dans son sac, elle n’a rien remarqué. 

La clef qui tremble dans la serrure, l’appartement qui s’offre à eux silencieusement. Il ne reste que leurs cœurs essoufflés et la lune solitaire qui les regarde à travers le carreau.

Ils ne se touchent pas, pas encore.

(extrait de L’encre Volée)

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L’encre volée – faux épilogue

12 juin 2009

A l'époque Seuil en a presque voulu. C'était trop court pour eux et pour moi l'histoire était terminée. Contrairement à leurs attentes, je n'avais rien à ajouter. Aujourd'hui je me dit que je ne suis pas allée jusqu'au bout.
Qui sait, l'été sera long et j'ai prévu d'écrire. Je reprendrai peut-être ce texte.
C'était mon premier roman abouti et, finalement, ce n'était pas si mal que ça.  Quoique un peu trop dramatique. En tout cas je peux aujourd'hui me pencher sur ces lignes sans embarras et avec même quelque tendresse. J'ai mis une partie sur facebook, voici la fin.
(les fautes d'orthographe sont d'origine

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)
A suivre?

Faux Epilogue.

Un
soleil de printemps. Elle avait eu envie de voguer sur la Seine et regardait le
scintillement de l'eau qui se reflétait contre les monuments ornant le fleuve.
Songeuse et seule. Un peu perdue dans des pensées agréables et sans nom.

Une
journée de vacances en solitaire, les enfants enfermés à l'école et l'être aimé
au bureau. Et elle, les mains vides, les doigts vides, ses pensées errant au gré
de l'eau, une brise légère dans les cheveux.

Son
livre est imprimé, finalement. Elle a réussi à en extirper les phrases de son cœur
et à aligner des pages intimes et belles qui ont su toucher un éditeur, puis un
public. Combien de ventes déjà ? Beaucoup, presque trop. Parfois, un flottement
interdit se demande s'Il l'a lu. S'il sait qu'elle a réussi son rêve et écrit
un livre. Un livre qui se trouve maintenant dans les vitrines de toutes les
librairies et qui égaie un instant la vie des gens. Puis son esprit court
ailleurs. Il est pensée non grata, une ombre inconsistante reléguée au passé.

Il
n'existe plus.

Elle
a failli ne pas l'écrire. Son histoire, ou plutôt leur non-histoire. Le titre
voulait tout dire pour elle, d'ailleurs, au départ, elle n'avait que ça, un
titre. Et quelqu'un le lui a pris, une espèce de ponte qui a imaginé un
best-seller appelé " le Carnet Rouge ". Alors elle s'est arrêtée.
Sans lire le ponte. Tout en ayant envie, mais luttant, rancunière à mort,
contre cet auteur pie voleuse. C'était " son " titre !

Puis,
un jour, elle s'est résignée en faveur d'un autre. Celui-ci existait peut-être
déjà, elle n'a pas voulu savoir.

Les
pages sont venues à vive allure, s'enchaînant sans peine comme si les longs
jours d'attente avaient créé un bouchon, et que maintenant qu'elle se donnait
le droit de faire exister cette histoire, les pages légères se précipitaient
toutes voiles dehors en grande bousculade, de peur de perdre leur unique chance
d'être.

Et
chaque mot tracé le faisait disparaître.

Elle
se souvient des questions qui revenaient parfois la hanter avec leurs doutes.
Et si… auraient-ils pu prendre un chemin différent qui les aurait réunis ? Sa
vie en aurait-elle été plus heureuse ? Mais, la dernière phrase achevée, le
point enfin final posé, son esprit trouva la paix et il devint oubli.

Il
reviendra parfois, c'est certain, comme aujourd'hui où elle songe doucement à
leurs soleils de printemps sur les terrasses de cafés parisiens. Son nom
ressurgira parmi d'autres souvenirs et odeurs du passé, pour s'effacer ensuite
lentement et disparaître à jamais. Elle n’a plus mal.

Elle
lève les yeux et regarde la foule à terre. Touristes en casquettes et citadins
pressés. Une masse grouillante écrasée par l'histoire des pierres qu'ils côtoient.
La pierre de taille aveuglante de lumière et de présence.

*

Il
a lu son histoire et n'a pas réagi. Lui qui avait enfin accès à ces mots qui
l’avaient tant obsédé. Maintenant, il essaie l'oubli. L'oubli des lignes du
passé qu'il a vu défiler sous ses yeux fatigués.

Accoudé
sur une rambarde, il regarde les péniches et leurs lentes migrations. Sa femme à
Dijon dans ses vins, son amant et les non-dits du petit-déjeuner, un fils
absent qui ressemble à sa jeunesse et à ses espoirs.

C'est
dans sa chambre qu'il a trouvé le livre. La chambre du fils. Il a hésité un
instant avant de demander d'une voix un peu enrouée s'il pouvait lui emprunter
cet ouvrage.

Regard
surpris du jeune homme, étonné que son père et lui puisse partager un même
centre d'intérêt.

Sa
femme était partie, encore, et il du attendre que son fils déserte à son tour
leur demeure inutile pour oser s'installer et l'ouvrir. En silence, sans
musique, sans cigarettes non plus – l'âge aidant, il avait arrêté – mais avec
une bouteille d'un millésime quelconque abandonné par son épouse au cours d'un
bref passage.

L'odeur
du livre neuf qu'on ouvre presque pour la première fois.

Il
l'a retrouvée tout de suite… sa lumière, sa fraîcheur, et un peu de ce mystère
qui l'avait séduit un fugitif instant avant de devenir une obsession. Premières
phrases douloureuses, comme un long étouffement humide, tant sa présence est
forte et les mots justes. Puis sa poitrine qui se détend, une souffrance un peu
lourde encore sournoisement tapie en lui.

Il
a revu le soleil du jardin du Luxembourg, ses rêves enfantins et le marchand de
glace juste devant l'entrée. Il a revécu les rires qu'ils avaient partagés et
les rêves qu'ils s'étaient confiés comme des trésors fragiles, qu'ils avaient écrits
sur un brouillon déchiré et confiés à la Seine dans des bouteilles poussiéreuses.
Comme ça, pour s'amuser, pour l'aventure des flots et les histoires qu'on
pouvait inventer… Maintenant, les bouteilles sont arrivées jusqu'à la mer et
ont échoué sur les côtes anglaises… ou bien elles sont allées jusqu'au Pôle
Nord et sont prisonnières d'un iceberg… ou peut-être se sont-elles brisées à
quelques mètres de là, contre le bord de la rive ou sur la coque d'un bateau.

Et
surtout cette chose en lui qui a pleuré des larmes amères. Tout ça pour ça ?
A la fin du livre, ses mains ont tremblé tant elle était présente en lui, et
tant la force de cette présence lui donnait le vertige, comme autrefois
lorsqu’il avait touché le fond de son autre lui, celui qui se cache dans les
limbes obscurs, prêt à ressurgir à la moindre chance.

Ses
yeux errent sur l'eau scintillante. Une drôle d'embarcation surgit lentement du
pont avec une femme en blanc en proue, les gestes libres et les cheveux au
vent. Il reste immobile et la regarde, profondément remué par la façon
particulière dont elle bouge et incline la tête. Sans comprendre pourquoi. Il
regarde cette étrangère, son dos, sa nuque parfois dévoilée par la brise, la grâce
de sa main effleurant la rampe.

*


Nous sommes bientôt arrivés Madame.

Elle
se retourne, surprise. Fait face à l'homme en uniforme et le remercie de
l'avoir prise à bord en dernière minute.

Son
nom résonne tout à coup autour d'elle. Elle agite la tête, d'où cela vient-il ?
C'est un murmure dans le vent, un écho inaudible qui pourtant retentit très
fortement en elle. Elle se retourne sans rien voir. Elle aurait rêvé…

Il
faut rallumer son téléphone. Cinq messages en absence, son éditeur va être fou.

L'escapade
est terminée.

*

Elle
se retourne et il plonge dans son sourire. Le sourire de ses yeux, le sourire
de son visage, ce sourire qu'il pourrait redessiner dans le noir et qu'il n'a
su retrouver en personne d'autre. Un sourire de lumière qui illumine celui qui
le reçoit, comme un précieux et unique cadeau. Qui va se loger là, dans le cœur,
et qui ne s'oublie jamais.

Il
faut qu'il l'appelle. Qu'il l'acclame comme il n'a pas su le faire autrefois.
Ses lèvres sont entrouvertes, il va crier son nom du haut de son perchoir et
elle lèvera la tête. Leurs regards se rencontreront et elle le reconnaîtra…
et quoi ?

Et
rien. A sa vue, il sent la fièvre remuer en lui et le cauchemar qui est prêt à
l’engloutir de nouveau. Il sent cette pulsion bourdonner avec violence, celle,
destructrice et effrayante, qui l’a dévoré jadis et dont le souvenir le fait
encore frissonner de honte et de peur.

Son
nom meurt sur ses lèvres. C'est hier qu'il aurait fallu le prononcer. Prendre
son sac et partir à sa recherche, se mettre à genoux et la convaincre de rester
à lui, les convaincre tous les deux que c’était fini, cette espèce de frénésie
malsaine qui les avait détruits. C’est hier qu’il aurait fallu vaincre ce démon
à l’appétit insatiable qui attend qu’on relâche sa bride.

C'est
ainsi. Il ne l'appellera pas. Jamais, pas hier, pas cette fois, plus jamais. Et
déjà elle est loin, une silhouette blanche dans le soleil de l'eau.

 

Nous
sommes bientôt arrivés…