
Les yeux sans visage (traduction)
1 mars 2010C’est moi et ce n’est pas moi.
Tu surfes sur le web, les enfants au loin, ton mari fait une pause des jeux olympique (…ton mari sommeille).
Tu surfes sur le web, te sentant désoeuvrée, sachant que tu devrais écrire, ou cuisiner, ou nettoyer un truc, mais surtout que tu devrais écrire. Tes doigts s’agitent convulsivement et tu as ce besoin en toi, cette exigence avide de mots. Sauf que les mots t’échappent, peut-être parce qu’ils sont trop effrayants ou trop tristes ou trop vrais. Peut-être parce que-ce que tu écris, tu l’as lu et relu jusqu’à la nausée et l’épuisement, au point de faire pleurer de l’encre à tes doigts.
C’est bien, parfois, de prendre du large par rapport aux mots. D’avoir la pensée vide, rien, d’avoir le néant pour univers. La maison vibre d’un silence suspicieux, tu a éteints la musique, il n’y plus rien à part le vent. Un vent puissant qui déferle sur la maison, les arbres, qui rend la lumière du soleil plus précise en poussant au hasard de lourds nuage noirs.
Tu sais que tu veux écrire à propos de lundi dernier. Le texte prend lentement forme dans ta tête, tu n’es pas sûre encore, est-il en français, en anglais? C’est un texte à propos de rencontre et de partage. Qui parle d’être assise sur un tabouret dans l’obscurité, avec une lumière tamisée soigneusement choisie. Qui parle de plonger dans l’objectif d’un appareil photo. Il y fait noir aussi, mais tu n’y cherches pas la lumière, tu cherches un oeil, tu cherches son regard. Tu n’es pas certaine de ce qu’il voit, de ce qu’il veut et tu ne sais pas quoi donner.
C’est déconcertant. C’est intense, aussi.
Tu surfes le web à la recherche de mots et l’image surgit violemment devant toi. Te saute dessus. Non, ça, ce n’est pas toi, n’est-ce pas?
Il y avait eu un premier résultat, pur, bleu, lumineux, et déjà c’était toi sans l’être. Tu l’avais reçu par email, elle avait été envoyée avec soin. Tu étais prévenue de son existence. Une nouvelle fois, tu étais déconcertée, mais finalement tu as réalisé que tu appréciais le résultat, et même que tu l’aimais vraiment.
Tu étais prévenue qu’elle existait quelque part, cette image de toi, et qu’un étranger, un artiste, était penché dessus. Tu as cherché son travail sur la toile et tu as trouvé des choses que tu aimais beaucoup et d’autres moins. Tu es allée sur son facebook, son flickr, tu aurais dû trouver l’image plus tôt.
Aujourd’hui tu atterris sur son blog, tu tombes sur toi étalée en pleine page d’accueil. Ce morceau de toi est apparu violemment sur l’écran, sans s’annoncer et déjà âgé de quelques jours. L’image était inattendue de plus d’une façon, tu la reçois comme un coup.
D’abord tu la rejettes, tu la déteste. Elle n’est plus cliniquement immaculée, et elle pleure de l’encre. Puis, tu as réalisé qu’elle ne t’appartenait plus. Tu l’avais donnée à quelqu’un, et ce faisant tu y avais renoncé.
Tu n’es pas certaine de ce que tu en penses encore. Cela prendra peut-être du temps (et peut-être que tu l’apprécies terriblement, finalement). Cela demandera peut-être de rencontrer cet étranger qui ignorait la tristesse de tes mots, et qui ne sait pas à quel point son travail et celui de son [associé] t’a rendu justice aujourd’hui.
Crédit photo : Tanguy de Montesson et Gilles Billian
Votre commentaire