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La petite Belou

12 décembre 2010

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Tu es assise sur le rebords de ton lit. Tes yeux gris peinent à s’ouvrir, tes bras restent en poing sur le matelas dans un geste avorté pour te lever. Pieds à plat au sol, tes cheveux blonds cendrés et courts en bataille, tes lèvres entrouvertes sur le silence. Tu restes sans bouger. 

Tu regardes par la fenêtre. Le matin hivernal inonde ta chambre d’une lumière blanche et crue annonçant un froid coupant, encore. 

Encore un matin, encore un hiver. 

Hier et avant-hier tu t’es levée sans réfléchir, à peine consciente, tu t’es cognée la tête contre la pente du plafond en lâchant une bordée de juron, tous les matins tu oublies que tu vis sous les toits et tu entretiens ta bosse permanente en haut du front, juste à la naissance des cheveux. Tu marches lentement jusqu’à la chambre de la petite Belou et tu te penches sur son sommeil, émerveillée par son existence qui perdure. Tu ne croyais pas que c’était possible, cette vie en toi, cet être qui t’enlace quotidiennement d’un amour inconditionnel et absolu et qui te pousses vers le meilleur de toi-même. Tu restes quelques instants à la regarder, à respirer son odeur d’enfant et à imaginer ses rêves… Tu t’éloignes enfin en te grattant machinalement le cou – un geste qui te viens du sevrage de la cigarette – et tu lances la machine à café et le chocolat chaud de Belou avant de laisser l’eau de la douche glisser sur ton corps et le réveiller avec douceur. Tu commences brûlant et tu baisses jusqu’à obtenir une eau froide qui te pousse à sortir. 

Ta douche ne dure jamais plus de cinq minutes. C’est efficace et c’est écologique. 

Ensuite la routine s’enroule autour de Belou et toi. Une fois habillée tu réveilles la petite avec un câlin et un bisou dans le cou, tu lui tends ses vêtements qu’elle enfile en « grelottant » sous la couverture. Vous vous asseyez face à face et trempez vos tartines dans vos tasses. Elle gazouille sur la journée à venir, tu l’écoutes, tu la regardes. Vous vous brossez les dents côte à côte, tu tresses ses cheveux en une natte dans le dos et elle vérifie que ton maquillage n’a pas débordé. Une fois en bas de l’immeuble, couvertes, gantées, écharpées, casquées, tu roules avec précaution jusqu’à l’école primaire où elle va en CP. Elle descend, te rend son casque et s’élance dans la cour de récréation après avoir agité la main énergiquement une dernière fois en ta direction. Ses yeux noirs rieurs se détournent vers une copine qui approche et Belou s’envole loin de toi.

Parfois cela te fait mal, de voir à quel point elle ressemble à son père. Malgré sa blondeur, Belou a les traits un peu carrés, et surtout des expressions qui te sont étrangères et qui te ramènent à « lui ». 

Tu es graphistes dans une petite agence de com touche à tout et comme  tu ne peux pas toujours emmener du travail chez toi, tes horaires sont parfois difficiles.

Le soir c’est une voisine qui récupère la petite. Belou fait ses devoirs sous son regard vigilant, joue, regarde un peu la télé. En général tu t’arranges pour arriver  pour le dîner au moins trois fois par semaines. Le reste du temps, la voisine prépare des restes ou un plat congelé et s’occupe de la routine de Belou jusqu’à ton retour.

Les soirs où tu arrives après son sommeil, tu restes quand même à ses côtés et tu la regardes en lui tenant légèrement la main, le coeur triste de ne pas avoir été là, de ne pas avoir entendu les détails de sa journée, les potins de sa classes, les choses qu’elle a apprises aujourd’hui. Le CP, c’est l’année où l’on apprend à lire et tu suis avec joie ses progrès. 

Aujourd’hui c’est « un weekend sur deux ». Belou n’est pas là. « Il » est passé la prendre directement à la sortie de l’école, tout était prévu, Belou était partie toute guillerette avec son sac. Elle allait vivre des aventures extraordinaires avec son papa et revenir remplie d’histoires dimanche. Des histoires censurées car Belou et son papa ont leur monde à eux, leurs liens que tu respectes à défaut de les partager. Tout à coup Belou s’interrompra  au milieu d’une phrase, le corps penché en avant tant elle est investie dans ce qu’elle vocalise. Tout à coup, Belou te regardera avec gravité pour te dire « Mais tu sais maman, je t’aime ». Ce ne seront pas des mots s’excusant pour aimer aussi son père mais une simple affirmation tranquille.

Tu t’es réveillée ce matin en ayant oublié qu’aujourd’hui était un weekend sur deux. Malgré la fatigue et l’envie de rester la tête sous l’oreiller, tu avais amorcé une tentative pour te lever, un rire aux lèvres et des jeux à proposer… avant que la mémoire ne te revienne… 

Belou n’est pas là, tu restes ainsi ni couchée ni levée, regardant par la fenêtre sans voir, frappée une fois encore par son absence qui se répétera régulièrement tant que Belou sera chez toi, qui se répétera de façon hachée et supportable tant qu’ « il » voudra bien te la laisser sans réclamer une garde partagée équilibrée. 

Il sait. 

Il te la laissera et se contentera, lui, de ces week-end fugitif, des déjeuners du mercredi et la moitié des vacances. C’est ainsi qu’il essaie de se faire pardonner d’avoir bifurqué de route avant sa naissance, c’est ainsi qu’il s’assure que tu as, près de toi, un être aimant qui prends soin de toi.

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2 commentaires

  1. très tendre ce texte. Me reconnais dans le « il » quand je vais chercher mais trois « belou » :)


  2. Merci Christophe!Je n’ai pas réussi à commenter sur le tien. Tes coups de gommes ont été très efficaces et chaque mot effleure ce « souvenir » avec une précise délicatesse ( http://fut-il-ou-versa-t-il.blogspot.com/2010/12/tu-parlais-peu.html)



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