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La petite Belou est malade 3

20 décembre 2010

Le couloir n’est pas blanc. Pour une raison idiote cela te dérange. Le sol en lino est gris, les murs sont jaunes et les portes bleues ou violettes, c’est selon. Vous êtes installés sous des néons à la lumière crue et vous attendez. Tu es assise et lui debout. Ses jambes sont croisées et les tiennes pliées sous ta chaise en plastique. Ton corps entier est plié en deux, ta tête baissée, ton cou cerclé par tes mains, tes coudes enfoncés dans tes cuisses, tes doigts croisés sur des cheveux que tu tires, entortilles, coiffe-décoiffe-coiffe-décoiffe… Ton corps entier est en équilibre précaire sur cette chaise. Un courant d’air et tu pourrais basculer.

Tu regardes le sol gris, les semelles qui passent devant toi, tu te bas contre cette vague de nausée qui monte en toi depuis des heures déjà. Au fil du temps, les chaussures ont défilées de plus en plus fatiguées et couvertes de neiges. La vue de chez toi doit être sublime… Des flocons épais tombent sur Paris et transforment la ville en carte postale et Belou ne le voit pas. 

Belou est sous perfusion, Belou dort. Elle a été sous masque, elle a respiré des molécules dilatatrices qui ont permis à l’air d’atteindre correctement ses poumons, ses veines baignent dans la pénicilline, et son corps est réhydraté. Ses poumons sont encore en souffrance, ses bronches risquent toujours l’obturation. Elle a l’air si petite dans ce grand lit compliqué, reliée à des machines, des fils, des moniteurs qui vérifient en constance que son corps fonctionne.

S’il n’y a plus de complications, Belou ira bien. S’il n’ a pas de complications et qu’on fait très attention, Belou pourra peut-être passer Noël chez toi. Ce serait bien, ta petite fille, les rituels, le chocolat chaud et les brioches. Son père pourra l’avoir pour le nouvel an.

Là, vous attendez pour régler et pour organiser son séjour à l’hôpital. Le médecin de nuit est couché et le médecin de jour fait sa ronde, votre généraliste homéopathe est partie rassurée, Belou dort, et vous faites la queue depuis deux heures. 

L’urgence est passée, le diagnostique est posé, et c’est maintenant que tes jambes te manquent et que ton estomac se venge.

Que ne donnerais-tu pas pour une cigarette… Tes doigts continuent leur danse dans tes cheveux et ton cou, ils démangent de nicotine, ils sont noués et tendus.

Damien et toi êtes des anciens fumeurs opposés. Lui ne supporte plus l’odeur, le geste ou l’évocation de la cigarette. Toi, tu arrêtes de fumer à chaque fois que quelqu’un en allume une devant toi. Tu es en manque à chaque coup de stress, chaque date buttoir impossible à respecter, et après quelques verres aussi, quoique tu ne boives plus très souvent maintenant que la petite est là.

Tu inspires longuement en basculant en arrière. Tu dénoues tes doigts, les passes sur tes yeux et dans tes cheveux « embataillardisés ». Tu regardes brièvement Damien. Le contre coup de cette nuit s’affiche également sur son visage. Son costume est fripé, ses traits sont tirés. Des cernes noirs marquent ses yeux, et tu remarques que ses mains tremblent légèrement.

Il y a cette histoire entre vous, ce passé. 

Il y a surtout Belou dont vous partagez l’éducation, dont vous êtes « co-parents ». Sans elle vos chemins ne se seraient jamais recroisés, mais elle est là, elle illumine votre vie et elle vous force à la présence l’un de l’autre. Elle vous oblige à parcourir un sentier que vous rejetez mais qui vous est obligatoire. Pour elle, par amour pour elle. 

Ce matin vous vous faites face, toi assises sur ta chaise, lui à cinq mètres, debout, gardant sa distance mais présent. Vous avez communiqué avec les médecins et les infirmières tout en gardant le silence entre vous. Les mots que vous pourriez vous dire sont si grands qu’ils remplissent l’espace qui vous sépare et vous maintiennent ainsi, à votre place et dans votre rôle. Si cela ne concerne pas Belou, vous n’avez plus rien à vous dire.

Vous allez remplir des papiers et rentrer chez vous, lui en première en évitant les dérapages et toi à pied sur un manteau froid dont la blancheur commence déjà à être souillée par la pollution parisienne. Vous allez dormir quelques heures et passer brièvement ou boulot avant de retourner au chevet de Belou. Vos regards ne se croiseront pas, vos mains ne se toucheront pas. Vous envelopperez votre fille de tout l’amour dont vous êtes capables individuellement, vous ferez le nécessaire pour elle tout en attendant avec impatience qu’elle aille mieux, qu’elle sorte, et que votre vie où Damien et toi êtes invisibles l’un pour l’autre reprenne son cours.

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2 commentaires

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  2. Merci Denis



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