
extraits jovialement volubiles
17 février 2011Encore quelques extrait de mes paragraphes « contraints » mis en ligne sur le blog du Convoi des Glossolales, que je vous invite d’ailleurs à aller découvrir… J
Sa voix est douce au téléphone. Tout à coup elle lui semble loin, à des milliers de kilomètre alors qu'elle n'est que de l'autre côté de la vitre. S'il ferme les yeux, il savourera le voyage de sa voix chantante et la distance sera la même. Une vitre, c'est comme un ravin. Il ne peut pas la toucher, sentir son odeur, sa chaleur, il ne peut pas la rassurer, la serrer délicatement dans ses bras, il ne peut rien à part la dévorer des yeux, lui dire je t'aime d'un regard et avec des mots et la paume de sa main qu'il étend, afin qu'elle y pose la sienne en transparence. Elle a l'air si forte dans sa fragilité tragique, et derrière sa tête haute il décèle une peur sauvage qu'elle n'avouera jamais. Elle ferme les yeux de lassitude, peine à déglutir. Son crane lisse parait trop grand pour son visage, ses cheveux sont tombés lentement d'abords, puis par mèches, avant qu'elle ne les rase. Son séjour en chambre stérile se poursuit, ils comptent les jours avant qu'elle ne sorte, avant qu'elle ne soit plus radioactive, avant que son cancer régresse, avant qu'elle puisse enfin se blottir contre lui, tout simplement, peau contre peau, cœur contre cœur dans le silence.
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Dans son sac, un goûter, des crayons de couleurs éparpillés, un paquet de mouchoir, sa trousse et ses affaires d'école et un carnet de mots. A sept ans sa collection est déjà large, avec "ekcellent", "amboulatoire", "roconnéssance", "de guingois". Son orthographe est créative mais phonétiquement juste, son écriture tient entre les lignes qui la contraignent, il n'y a aucune rature. Au fil des jours, il recopie de la rue, note à l'oreille, ferme les yeux et savoure le goût de chaque syllabe et voyage que ses mots lui procurent. Grâce à eux, sa vie se colore d'univers "aimprévus", d'aventures "rokambolsaisques" et de rêves "extraodinères".
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Elle passe sa journée seule, sans enfants ni corvées ménagères. Semi-allongée, fenêtres ouvertes et le vent qui caresse doucement son corps songeur. En face d’elle, une radio dont elle laisse la musique lointaine imprégner la pièce, et sur un fauteuil une valise. Blanche, un peu usée, le genre de valise qui a une histoire racontée par les parents la larme à l’œil. Elle n’y touche pas mais la regarde souvent, comme attirée par l’objet inerte mu d’une puissance contre laquelle elle lutte passivement. Elle avait décidé de lui donner un coup de neuf, la veille, à l’aide de torchons et de recettes de grands-mères, et, chose faite, l’a laissée dehors plutôt que de la ranger dans le noir et l’oubli. Ce matin, dans le silence inhabituel qu’elle a savouré les yeux fermés, dans son lit, longuement, comme si se lever briserait le charme presque inattendu de sa solitude, la valise l’attendait, unique compagnon de cette journée silencieuse.
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"Asseyez-vous". Il fait sombre dans la pièce. En son centre, un tabouret de bar noir sous un éclairage digne d'un plateau de cinéma, posé sur un tissu gris foncé. Je suis un peu nerveuse. Lui aussi, enfin, je ne sais pas, son expression est indéchiffrable mais ses mains tremblent. J'avance lentement, mon corps quitte l'ombre pour entrer dans la lumière blanche et crue. Mes poumons cherchent l'air, mes yeux s'efforcent de ne pas cligner. Je me pose, raide, mains sur mes genoux, tête droite. "Ne vous inquiétez-pas, ça ne fera pas mal". Il a un petit sourire complice. J'aimerai avoir un verre de vin dans mes veines. Il se détourne, ses gestes silencieux et mesurés, et reviens vers moi un appareil photo bien en main, l'énorme objectif tendu vers moi. "On y va".
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