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Alice

2 juin 2011

Je n’ai pas eu peur lorsque papa est parti. Je savais qu’il nous reviendrait, et que s’il avait besoin de ce temps hors du deuil de sa femme, ce n’était pas nous qu’il quittait. Je savais que je ne perdrais jamais mon père, il était dépourvu de cette fragilité en vertige de maman. S’il se mêlait rarement de notre « éducation », il savait adoucir certaines restrictions d’un regard, d’une ébourrifade dans les cheveux, voire parfois d’un contournement manifeste des décisions de maman.

Au fil des mois, alors qu’ils pleuraient tous les deux en absence l’un de l’autre, l’oxygène et la vie s’est retirée de notre maison à un point tel que Matthieu et moi avons rejoint leurs silences. Alors que Matthieu a continué à s’imaginer chevalier et guerrier, ses gestes ont perdu en amplitude. Ses voitures roulaient toujours dans sa chambre, ses rêves se cognaient déjà contre les quatre murs de son domaine, mais ce porte fermée et sans que rien ne perce vers l’extérieur. Nous avions isolé Matthieu de nos souffrances, et il s’est de lui même coupé de nos névroses pour survivre et s’accomplir hors de nous.

S’il n’avait pas été marqué par la dépression de maman, le départ de papa a créé une faille en lui. Lorsqu’il venait nous chercher le vendredi soir ou le samedi matin, il le guettait du balcon pour ne rien rater de son apparition. Dès l’ombre de son couvre chef décelée, il buvait des yeux la progression de papa jusqu’au portail de l’immeuble, puis s’élançait vers la porte du palier qu’il faisait voler grande ouverte, accroupi contre les barreaux des escaliers, il attendait. Il ne descendait jamais, il restait à regarder son père progresser vers lui comme si chaque pas était une réassurance, une preuve que son père l’aimait et faisait le chemin jusqu’à lui, jusqu’à ce qu’enfin il puisse s’accrocher à ses jambes et le serrer aussi fort que possible.

Maman disparaissait dans sa chambre, la débandade de fenêtres et de porte d’entrée était pour elle un signal. Nous ne la voyions pas avant de partir, et lorsque papa nous rédéposait dimanche, elle attendait son départ avant de venir nous accueillir.

Lorsque papa est parti, nous sommes resté seuls faces aux absences de notre mère. Nous ne manquions de rien matériellement, maman se souvenait parfois du minimum et le cercle bienveillant qui s’était créé autour de nous veillait au reste.

J’ai moi-même appris à faire nos sacs pour nos weekends et à faire les menues courses dont nous pouvions avoir besoin. Acheter du pain pour le petit déjeuner, quelques fruits et légumes pour le quotidiens, devinrent des actes habituels et tû. Ainsi nous pouvions continuer. Ainsi je pouvais attendre que papa revienne vivre chez nous, je n’ai jamais douté de son retour, ainsi je pouvais attendre que maman revienne parmi nous, il m’a fallu des années pour me guérir de l’angoisse de sa tristesse et de la culpabilité de ne pas avoir été suffisante à combler sa douleur, ainsi je pouvais offrir à Matthieu une enfance plus apaisée que la mienne même si particulière, ce qui lui permettrait de grandir avec des moindres failles.

Je n’avais personne, moi, pour me tenir la main et essuyer les larmes qui coulaient le soir et ne s’arrêtaient qu’avec le sommeil. (pardon si ce texte est trop noir, il s’insère dans un ensemble que j’espère plus lumineux. En tout cas j’y travaill – aujourd’hui de ma voiture sur un petit téléphone…)

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