Aujourd’hui rien ne va, la connectique, les collègues, le menu à la cantine. Le soleil brille trop fort, la clim est glaciale, le boss a des questions pénibles et une tâche de sauce sur sa cravate que personne n’ose évoquer. Les doigts passent encore et encore dans les cheveux, les ongles grattent l’ennui et pleurent de pellicules. Les pieds s’agitent et les tons montent, les portent claquent : la journée oscille entre tâches planifiées et urgences, la migraine pointe. Lorsque la lumière rampe enfin vers l’ébauche de la nuit, dans les heures grises et hésitantes, la relâche arrive, enfin, le dos se dénoue, le cou craque en un soupir résigné. Il y a les semaines à tenir, les engagements à respecter, les siens et ceux des autres, le reste à ne pas penser, cette barrière grise dans ton agenda des protocoles à venir, de la fatigue de devoir mourir pour revivre, tu avais négligé ta mortalité, à force d’entendre qu’on va mourir, c’est comme Pierre et le Loup, on oublie. Tu regardes tes collègues partir un à un et tu songes à ton absence non annoncée encore, avec une date de retour évoquée mais non confirmée. Il faut avancer malgré l’agacement et la peur, si tu te donnes le choix tu crains de tomber tel un cheval écroulé au bord d’un chemin, c’est comme au tennis, point par point, pas à pas, arriver jusqu’à l’échéance grise, déjà, puis la vaincre. Car il n’y a, si tu y penses, pas d’autre issue possible qu’atteindre la lumière après l’épreuve, de revenir ayant vaincu la mort, malgré l’épuisement et les traits courbés… tu imagines tout sauf qu’être ne soit plus.
Et si nous quittions les sentiers embrumés par la nuit, dis, si nous franchissions les lignes à défaut de les faire bouger, prétendre que demain est possible, qu’hier était léger et inconséquent, dis, oublions les mots, les taux, les probabilités dont l’encre noire menace le vent… quelques pas de côté, ma main dans la tienne, en sourires en regards, en lumière matinale perçant les feuilles… Dis, et si, et si l’existence d’aujourd’hui n’était qu’un songe, un peu trop agité, incertain, un peu trop triste aussi, en vers de gris, en bleu trop pâle, inspirer, s’assoir, confronter, recommencer, dis, viens avec moi, dansons. Quelques pas de côtés, loin du sentier, dis-moi en silence, dis-moi oui, la vie, ce cri intérieur qui rugi, non, refus, dénis, entourés de murs, dis, et si, si je marchande avec la réalité, comment te sauver, que sacrifier. Et s’il n’y avait plus rien à dire, jusqu’où continuer à se battre, persévérer, serrer le mords et avancer, dis, et si je n’abandonnais pas, ce choix, toi, ralentir le temps, de l’ombre la lumière finira toujours par sortir, quelques soient les jours, arrêter de compter et être.
Nous avons suivi le process. Le process a suivi son chemin.
Il a abandonné son corps à des mains capables de lui enlever son mal, scarifiant son cou, son être, ils l’ont vidé de la mort, il a du se perdre dans son ombre pour renaître, pour appendre à exister, à demander.
Chaque réveil est un rappel à la vie par la souffrance, la perception des sens agités entre ce qui n’est plus et ce qui doit revenir.
Après ne pas avoir osé avoir besoin, repoussant la prise de médicament, oscillant entre la peur de manquer, la crainte de l’addiction, l’insupportable attente et la terrible réalité, il n’ose plus la douleur, et enfin porte sa voix.
Il est parfois possible, par l’abandon complet, de reprendre totalement le contrôle.